Représentations matérielles et immatérielles

Posted by on Nov 26, 2013 in Blog, Géopolitique, Science, Théâtre

Je propose donc de substituer le terme de représentation à celui d’objet, mais de même façon que l’on parle d’objet concret ou conceptuel, j’établis une différence entre représentation matérielle et représentation immatérielle. L’emploi « d’objet » ne s’effectuait pas dans un esprit identique à celui de « représentation » : l’objet restait lié à l’intervention humaine, qu’elle soit une fabrication concrète ou seulement une conception intellectuelle, et les objets trouvés dans la nature ont été désignés ainsi par extension. L’esprit du mot « objet » est entaché d’anthropocentrisme tandis que, dès son origine, « représentation » désigne toute chose qui est. La prévalence de l’action humaine dans l’esprit de « l’objet » s’explique par la pente matérialisante de notre pensée qui ne manqua pas, qu’elle le sache ou non, d’être imprégnée d’idéologie marxiste, et se soucia de la domination de l’homme sur les choses, donc prioritairement du travail » manuel ou intellectuel ». Ensuite, la différence entre la représentation matérielle et la représentation immatérielle n’est pas exactement la même que la distinction entre l’objet concret et l’objet conceptuel. Si la séparation entre le « manuel » et « l’intellectuel » semble être une coupure radicale (malgré la récupération de l’intelligentsia conviée à rejoindre le cercle des « vrais » travailleurs et la permission accordée à la pratique d’être intellectuelle),la séparation entre la représentation matérielle et immatérielle n’est pas aussi évidente que ça

J’ai pour obligation de lever deux types d’ambiguïté : premièrement, l’ambiguïté qui entoure le terme « représentation ». Aux yeux de l’opinion, la représentation est affectée d’un caractère secondaire, elle ne fait que renvoyer à une autre chose qui lui préexiste et lui est souvent supérieure. Après tout, la représentation n’est qu’un second choix parmi ce qui existe, même si sa réalité peut être plus clinquante que celle de son modèle, donc plus artificielle. Toutefois, difficile de nier l’existence effective d’un ambassadeur : il se nourrit, s’habille et se loge dans sa belle résidence et à ceux qui trouveront que sa représentativité n’a rien à voir avec ces réalités matérielles je répondrai que sans ambassadeur il n’y a plus « d’ambassade » et s’ils me rétorquent que la représentativité précède le représentant, je leur dirai que cela répond à une idée toute faite, c’est-à-dire une idée que l’on s’est fait car il n’est pas assuré qu’au tout début, avant qu’il y eût un individu qui devienne chargé de la première ambassade, celle-ci eût existé. Les ambassades auraient-elles existé sans les hommes, du moins les êtres vivants ? Le même problème se pose pour les signes. Prenons, par exemple, un signe graphique : son dessin est réalisé sur un certain support, au moyen de certains matériaux et l’on dira que ceux-ci n’importent pas au regard de son sens ; mais ce fameux sens n’impliquera-t-il pas d’autres matériaux comme ceux de notre cerveau ? Et ces derniers ne seront-ils pas corrélatifs, pour la connexion avec le signifié de ce signe, au matériel des idées ? « Matériel des idées », voilà bien des grands mots me direz-vous, j’en conviens, l’existence d’un tel matériel reste à prouver, mais, de toute façon la signification n’aurait pas lieu sans tout cela. La signification indiquée par ce signe graphique se produirait-elle sans tout ce dont je viens de parler ? Le signe, en tant que tel, existerait-il sans la possibilité de la signification ? Certes non, mais celle-ci se produirait-elle sans le signe et sa partie signifiante, laquelle se trouve intriquée avec son signifié ? L’ambassade serait-elle réalisable hors de la possibilité d’existence d’un être auquel on la confiera ? Vous aurez peut-être envie de dire que l’une ne va pas sans l’autre et, dans ce cas, je vous donnerais raison, mais alors nous constatons que toute chose peut être un signe, que tout être peut devenir ambassadeur de quelque chose et que chaque chose est potentiellement une représentation. Tout ce que nous disons être, est en mesure de représenter une autre chose que lui-même et celle-ci existe d’être représentée, ne serait-ce que par elle-même. Force est de reconnaitre le caractère secondaire de chaque chose, mais force, aussi, d’admettre que cette secondarité ne se tient pas par rapport à un modèle fixe, ni même autre, sauf à comprendre que, d’une certaine façon, on est l’autre de soi-même.

La deuxième ambiguïté que je dois  éclaircir porte sur les deux adjectifs contradictoires : « matériel » et « immatériel ». Leur opposition semble radicale si l’on s’en tient à la tradition du vocabulaire, les choses matérielles n’auraient rien à voir avec ce qui est immatériel, mais l’usage a beaucoup évolué, suivant, en cela, les progrès techniques que l’on dit, maintenant technologique. Une telle évolution technico-langagière a entrainé un changement de conception par rapport au mode d’existence des choses, surtout un changement de conception pour ce qui concerne les différents territoires recouverts par chacune, et ceci sans  qu’on en soit déjà bien conscient. Tout fut déclenché par l’informatique et le traitement des informations par les ordinateurs que nous utilisons de plus en plus et qui ne cesse de se perfectionner. Il est devenu évident que toute information que nous parvenons à acquérir, que nous produisons nous-mêmes, que nous enregistrons comme documents et que nous transmettons à nos partenaires ou au monde entier, tout en conservant un caractère abstrait n’en restent pas moins des choses positivement matérielles, mais ce côté « positivement matériel » se désenglue de sa consistance habituelle, il se « dématérialise ». Bien sûr, personne de sensé ne compare cette dématérialisation à une spiritualisation, sans vraiment nous en rendre compte nous assistons et participons à la décomposition de la matière traditionnelle , mais sa décomposition lui permet de gagner de la légitimité au sein de territoires qu’on ne lui aurait jamais reconnus. Je viens de le dire, il ne s’agit pas de spiritualisation, toutefois il faut se garder du matérialisme réductionniste, un matérialisme « épais » selon lequel il ne s’agira jamais pour la matière de s’affiner et se complexiser mais, au contraire, pour le « monde prétendument spirituel » de s’encroûter. La matière se dématérialise et, paradoxalement, ce ne sont pas les militants du matérialisme qui l’accepteront avec le plus de facilité. On s’étonnera, à juste titre, que je choisisse le terme « immatériel » plutôt que celui de « dématériel ». Le substantif « dématériel » n’existe pas dans notre usage, et je n’emploie pas celui d’immatériel afin de désigner ce qui n’existe pas, mais tout ce qui, à nos yeux et nos habitudes, n’est pas encore perçu matériellement.  A ce compte là, me direz-vous, je suis en train de vous prouver l’existence de Dieu ! D’abord ce genre de sujet n’a que faire dans ce type de réflexion, ensuite de quelle type d’existence parleriez-vous ? Si vous vous posez la question de l’existence de l’idée, du concept de Dieu, il ne fait aucun doute que ceux-ci occupassent une grande place dans l’esprit de beaucoup d’hommes, en revanche si vous vous posez, la question, qui n’a d’ailleurs jamais manqué d’être posée et re posée, de l’existence matérielle de sa personne, cette question restera étrangère à notre débat. Jusqu’à preuve de vérification, l’existence matérielle de Dieu ne saurait être prise en compte. On peut donc parler de l’existence immatérielle de l’idée et du concept de Dieu, et ceci ne m’empêchera nullement de préciser que la matière comprend deux zones : celle du matériel et celle de l‘immatériel, puisque un concept et une idée existent réellement dans nombre de cerveaux, ne serait-ce que ceux qui en contestent l’existence « matérielle ».

je suis conscient que ce genre de réflexion suscite un certain malaise, comme, au cours de notre histoire, le Théâtre n’a pas manqué de le faire, plutôt, dans son cas,un certain scandale tant les églises et les pouvoirs politiques se sont dressés contre les manifestations de re-présentation. Ils s’y sont souvent opposés et certains auraient de simples représentations auxquelles ils ont toujours souhaité réduire le Théâtre. Le Théâtre, à la condition qu’il soit joué, présente un passage constant du matériel à l’immatériel » et réciproquement. Ces deux niveaux, moins d’être seulement signifiés – donc transformés en objets clos que l’on manipule, intervertit et présente les uns aux autres -, ces deux niveaux se re- présentent l’un à l’autre, s’impliquent, se corrèlent et se mêlent. Que considérons nous, spectateurs, en considérant la scène ? Est-ce le costume du personnage ou le vêtement de l’acteur, le décor de la situation ou le matériau de la scénographie, les paroles des personnages ou les répliques verbales proférées par les acteurs, la fiction « vécue » quand ils jouent ou la fable qu’expriment et racontent des interprètes…etc ? je n’écris pas tous lesdomaines et toutes les nuances, ils sont presqu’infinies ; tenez, par exemple, si nous reprenons la question du costume :  considérons nous le vêtement avec lequel s’est habillé le personnage, ou le vêtement avec lequel on a habillé l’acteur afin de signifier le type de vêtement que devrait porter ce personnage, ou le vêtement avec lequel on l’a habillé pour signifier au public quel personnage il interprète, ou simplement le vêtement qu’il a revêtu pour agir dans ce spectacle ? On en finirait pas, tant les niveaux s’entremêlent. Voilà pourquoi j’ai parlé de zones du matériel à l‘immatériel à l’image des zones transfrontalières qui ne renient pas l’existence des pays consciemment ressentie mais témoignent du passage les uns aux autres.