A l’intention d’un avocat de la priorité de l’imitation

Posted by on Jan 24, 2014 in Blog

Les reproches font avancer la réflexion, mais parfois, leur auteur, croyant apporter une critique à son interlocuteur, prévient un reproche qu’on risquait de lui adresser ou que, lui-même, un jour ou l’autre, aurait fini par se reprocher. Plus ou moins consciemment, le reproche, que parfois l’on adresse à un autre, est la déformation d’un reproche à soi-même. Ainsi, l’accusation de simplisme que l’on m’a faite lorsque je soulignais la prépondérance des processus d’identification n’était, au bout du compte, que la défense désespérée d’un dispositif intellectuel auquel, contre vents et marées, on s’accroche. En l’occurrence, celui de l’imitation. De toute façon, le simplisme serait plutôt du côté de l’imitation tant celle-ci renvoie à un mécanisme formel qui, comme tout mécanisme de ce genre, serait plutôt conséquentiel. Je note, avec amusement, mais grand intérêt, que l’accusation s’appuie sur la découverte, ces dernières années, des « neurones miroirs » . Beaucoup de psychanalystes l’ont prise en compte et il est regrettable que je ne me sois pas inspiré de leur travaux avant d’exposer mes réflexions,  » la psychanalyse est la mieux placée pour parler d’identification ». Ce dont je suis parfaitement d’accord, aux conditions qu’elle n’abandonne pas cette place bien difficile, en se contentant de l’imitation, et qu’elle accepte de la partager avec le Théâtre. Toutefois, j’en profite pour saluer le courage des psychanalystes qui ne sont pas restés indifférents à la découverte, en 1996, du neurologue de l’Université de Parme, Giacomo Rizzolatti. D’habitude, les neurosciences sont regardées avec la plus grande suspicion et par les tenants des « sciences dures », qui leur prêtent un manque de rigueur académique, et par les tenants des « sciences humaines »  qui s’effraient de leur radicalité positiviste. Prétendant participer des deux, on aurait pu craindre que la psychanalyse ferma ses portes aux »neurones miroirs ». Je n’ose penser que c’est seulement en raison du « stade du miroir », porté en sautoir par Jacques Lacan, qu’elle ne les laissa pas de côté comme le firent les autres « sciences ». Il est vrai que, pour une fois, un scientifique apporte un « substratum biologique » à la démarche de Freud, mais encore faudrait-il, à mon avis, que ce substratum n’en resta pas un et que la psyché ne se retrouva pas, encore une fois, reléguée après le corps. Ce n’est pas la conclusion à laquelle la découverte des neurones miroirs devrait nous conduire, mais plutôt à celle de  la corrélation, dans leurs apparitions, du psychique et du biologique. Quoi qu’ils puissent en dire, il n’est pas certain que les psychanalystes en soient intimement convaincus, nombre de leur réflexes langagiers sont les symptômes d’un monde que pourtant des penseurs comme Freud avaient entrepris de faire disparaître.

Dans un premier temps, je vous expose succinctement la découverte du professeur Rizzolatti telle que je l’ai comprise : chez deux sujets – primates ou humains -, dans chacun de leurs cortex moteurs, un même neurone est sensibilisé lorsque l’un exécute une action tandis que l’autre l’observe. Sans passer à l’action, le second perçoit celle du premier dans la mesure où, chez lui, le même neurone est impliqué. La représentation de l’action du sujet agissant, chez le sujet observant, implique le même neurone que si cet observateur agissait. A l’issue de la découverte, après plusieurs appellations, on en est venu à nommer les deux neurones :  des « neurones miroirs ». Je constate que sont en miroir, non seulement un neurone chez le sujet actif et un neurone chez le sujet qui l’observe, mais aussi, et en lui-même, le neurone de l’observateur puisque ce neurone permettrait la représentation de l’action observée dans la mesure où il serait impliqué si c’était l’observateur qui agissait. Je subodore qu’on ait à faire à une implication réciproque. Inversement, on pourrait émettre l’hypothèse que le neurone sensibilisé, chez le sujet actif, le serait dans la mesure où il l’aurait été dans le cas où cet actant aurait été observateur. Certes, un neurone miroir peut se trouver impliqué dans la représentation puisqu’ il peut l’être dans l’action, mais, il peut l’être dans la mesure où il peut l’être dans la représentation. Attention, je viens d’écrire : « dans la représentation » et non  » dans sa représentation »,  l’emploi du possessif indiquerait, selon la pensée habituelle, qu’on s’en tient à une stricte causalité traditionnelle qui veut qu’une représentation ne soit que le reflet d’une chose ou d’une action, ou, qu’au contraire, mais selon la même logique, elle soit le modèle ou l’intention de celles-ci. Ces derniers points, le modèle et l’intervention, renvoient au tour de passe-passe que, malgré elle et depuis fort longtemps, l’humanité accomplit au cours de sa démarche de ressaisissement et qui consiste à sublimer en le renvoyant en amont, telle une origine, ce qui semble arriver après, tel un épiphénomène.

Puis, je m’étonne qu’on assure considérer tout cela corrélativement, ne pas envisager l’un sans l’autre, alors qu’on dit, déclare et écrit que tout part de l’imitation. Il s’agit, on s’en doute, de la relation de la mère et de son bébé ; on trouve là, un exemple concret de rapport « en miroir ». Si l’exemple se situe effectivement à un niveau exemplaire, en revanche de quel miroir parle-t-on ? Plus exactement, qu’entend-on et de quoi parle-ton quand on parle de miroir ? Un miroir est une surface qui réfléchit les reflets, ce qui, non seulement, est le cas de nombreuses surfaces, mais surtout classe ce type d’objet parmi tous ceux qui renvoient et retournent. Renvoi et retour qui auraient dû introduire de plein-pied dans la problématique de la re-présentation et de l’identification. Je m’en explique :  si vous projetez une balle sur un fronton, celui-ci renvoie cette balle, mais peut-on dire qu’il vous la renvoie ? Et pouvez-vous dire, qu’ayant envoyé la balle contre le fronton, celle-ci vous revient parce que vous vous l’êtes adressée ? Tant que vous ne disposerez pas d’un ensemble psychique suffisamment élaboré, tant que vous ne serez pas en mesure de penser, pressentir et percevoir que le fronton vous renvoie la balle que vous avez projetée contre lui, il vous sera impossible, lorsqu’une balle arrivera, de discerner que le fronton envoie cette balle, plus exactement qu’il l’a renvoie, plus précisément qu’il vous la retourne, et, plus précisément encore, qu’il vous la renvoie parce que vous la lui avez envoyée. Impossible de discerner que la balle arrive parce que le fronton l’envoie, que le fronton l’envoie parce qu’il la retourne, qu’il la retourne parce qu’il vous la renvoie, qu’il vous la renvoie parce que vous la lui avez envoyée, que vous la lui avez envoyée parce que vous l’avez envoyée, ou que vous l’avez envoyée parce que vous la lui avez envoyée et que vous la lui avez envoyée pour qu’il vous la renvoie, et qu’il vous la renvoie puisqu’il envoie et parce que vous envoyer…contrairement à un jugement trop hâtif, à chaque étape, dans un sens ou  dans l’autre, une dérive advient et une modification s’accomplit, qu’elles soient une simplification formelle ou une complexisation psychique. Les deux sont à un même niveau : deux miroirs, face à face, ne commencent pas plus par se copier que par s’identifier. On supposera qu’ils se renvoient la même image, donc qu’ils se copient mutuellement mais, pour le constater, il sera besoin de se placer entre les deux. Cette personnification de « l’entre-deux » est nécessaire ici pour rendre compte de l’espèce de personnification qui se produit chez chacun des deux miroirs par rapport à l’autre. Certes, je parle bien d’une « espèce de personnalisation », alors que dans le cas de la mère et du bébé, il ne s’agit plus d’une approximation  mais, assurément, de deux personnes, quand bien même ne s’identifient-elles pas encore clairement.

Pour confirmer que tout part de l’imitation, on  rappelle et on répète que le bébé mime les expressions du visage humain et on n’hésite pas à dire qu’il bénéficie d’une préconception innée des formes de la mère ! Cela n’est pas invraisemblable, mais cela ne prouve pas que cette préconception formelle précédât obligatoirement l’élaboration de l’identification. A moins de donner à accroire que, pour la psychanalyse, il n’y eut rien  avant l’accouchement, il n’y eut, avant la sortie du ventre, qu’une matière presque inerte, dont la moindre vibration aurait été une manipulation de la part de principes extérieurs à  l’être humain – principes niant l’existence d’une psyché foetale (je sais qu’un certain nombre de psychanalystes se penchent vers le foetus). On veut que l’identification n’entreprenne sa démarche que longtemps  après la salle d’accouchement, longtemps après l’activation d’un dispositif mimétique. Mimétique, c’est incroyable comme on ne débarrasse pas son esprit de la mode la plus traditionnelle ! On commence dans la peau d’un avocat implicite de l’imitation et l’on finit dans la peau  d’un virulent procureur de l’identification, mais foin d’hypocrisie, feignant d’être surpris, j’ai prêté des intentions étrangères à un esprit qui n’aurait jamais imaginé être prisonnier de l’opinion. Après tout, parler de l’imitation est un tic de langage et un faux pli de la pensée, comme ces faux plis que, repassage après repassage, on n’effacera pas des draps.

Rassurez-vous, je n’irai pas jusqu’à dire que l’identification précède toute chose. Beaucoup de psychanalystes diront qu’elle est sur la même ligne de départ que l’imitation, toutefois, il ne suffit pas de le dire, encore faudrait-il le penser. Préconception des formes maternelles ou pas, apporter comme preuve que le bébé mime les expressions du visage est insuffisant pour affirmer qu’avant toute chose, c’est à l’imitation qu’il se livre. Disons plutôt que c’est cela qu’on veut bien constater. On réduit, alors, le bébé à un objet dont les petits morceaux, comme le fer avec les aimants, suivent les mêmes trajectoires que les mimiques de la mère. On ne se pose surtout pas la simple question : comment cela se fait-il ? Qui décide de suivre ces trajectoires ? Qui prend sur lui de les suivre ? Qui y consent ? Quoi les suit ? Il ne suffit pas de les suivre pour être un sujet qui les suit, ni non plus un objet. Il ne suffit pas de les suivre pour être l’objet qui les suit ni, non plus, quelconque objet, encore faut-il, pour être ceci, d’abord simplement être,  se trouver identifiable, c’est à dire quelque chose qui s’identifie (à la mère, dans la mesure où elle s’identifie à ce qui s’identifie à elle). L’existence ne précède pas vraiment l’essence pour la bonne raison que l’être est une existence, c’est à dire une identification. Je devrais dire une représentation, parce que, figurez-vous, je me suis rendu compte que, pour ce genre d’avocat de l’imitation, celle-ci précéderait les représentations, pour ne pas dire la re-présentation.