Je vais parler de la lumière. J’en parlerai rapidement, succinctement. Les professionnels de la science n’ont que faire du point de vue de béotiens, quant aux scientifiques amateurs – il est nécessaire, en science, de nuancer le propos : les professionnels font souvent appel, de par le monde, à de pseudo- amateurs, tant ceux-ci sont affutés et tant les expérimentations à mener sont innombrables -, quant aux scientifiques amateurs, ils ne hausseront pas moins les épaules que les professionnels pour la simple raisons que, dans certains domaines particuliers, ils « en savent » encore plus. En ce qui concerne les affamés de vulgarisation, le peu que l’on pourra dire sur la lumière ne sera qu’une redite maladroite. Et pour ceux qui ne bénéficient d’aucune des informations dont, d’ailleurs, ils ne sont pas friands, on peut se demander s’il est recommandé de leur évoquer les aspects scientifiques des choses. On risque de les ennuyer ou, pire, de leur raconter des sornettes qui achèveraient de les tromper. Il n’en reste pas moins que cette majorité vit heureuse sans interrogation scientifique, en posant une problématique fondamentale qui englobe tout le monde, « ignorants » et « savants » compris : celle de la conception du monde. A chaque instant, les êtres vivants ont une considération de ce qui les entoure, considération qui évolue selon les époques, les espèces et les individus. On s’en doute, la conception du monde n’est pas la même à tel ou tel siècle, chez telle ou telle catégorie de la population, ainsi qu’entre telle ou telle personne. Copernic garda par devers lui, et par prudence, les calculs ainsi que la nouvelle conception qu’il se faisait de l’univers. Les seuls amis savants dans la confidence, ne parvinrent pas à le décider à communiquer de son vivant, l’état de ses recherches. C’est le cas de le dire, la conception du monde du polonais Nicolas Copernic ne fut pas, pendant un long temps, partagée par grand monde. La suite ne fut pas plus aisée : avec les condamnations de l’église, Giordano Bruno fut brûlé vif, puis Galiléo Galiléi contraint de se rétracter. Certes, Isaac Newton connut la célébrité avec la communication de ses recherches sur la lumière, mais concrètement que recouvrait la célébrité à son époque ? Sa théorie de la gravitation universelle fut-elle aussitôt adoptée par l’opinion ? La plupart des contemporains de Copernic, Galilée, Newton n’ont jamais su que la terre n’était pas le centre de l’univers et que, non seulement elle tournait sur elle-même, mais qu’elle tournait aussi autour du soleil. Et quand on parle de » la plupart de leurs contemporains », on n’exclut pas les prétendus savants de leurs époques qui les condamnèrent, ou ne voulurent pas les comprendre, ou plus simplement ne les comprirent pas vraiment. Les changements de conception du monde, les ruptures épistémologiques ne rencontrent pas le seul obstacle de l’opinion collective mais, d’abord, celui des spécialistes qui, soit ne veulent rien perdre de leur pouvoir, soit, en dépit de leur immense savoir et de leur brillante intelligence, sont incapables « d’envisager les choses autrement ». On ne change pas de considération et de conception comme ça.
I. J’évoquerai donc, assez rapidement, la question de la lumière, pour être encore plus concis, celle de sa vitesse :
– La majorité des gens savent que, dans le vide, la vitesse de la lumière est de 300.000 kilomètres à la seconde (exactement 299.792 km/s, mais qu’importe…les mètres et les secondes ne sont que des normes inventées par certaines cultures). Si on s’étonne de ce vide dans lequel serait calculée la vitesse de la lumière, alors que j’affirmais qu’il était impossible de l’obtenir, je précise que je parlais du vide absolu et radical. On parvient à faire un vide certes, partiel, mais très conséquent.
– En revanche, beaucoup moins de gens savent que cette vitesse est indépassable pour la bonne raison qu’elle est inatteignable (sauf, bien sûr, par la lumière elle-même). Cette impossibilité ne les empêche pas de vivre. L’existence, vécue par tous, s’effectue selon des critères et des repères dimensionnels incommensurablement différents.
– Enfin, dans leurs raisonnements, encore moins de gens tirent les conséquences de ce caractère inaccessible. Pourtant, beaucoup d’évidences se trouvent mises à bas, comme celle de la simple addition des vitesses : si un train passe devant vous, en roulant à 100 kilomètre à l’heure et, qu’à l’intérieur de celui-ci, les passagers chronomètrent une personne qui, au long des wagons, court (dans le même sens que le train), à la vitesse de 10 kilomètres à l’heure, et bien la vitesse de ce coureur, par rapport à vous sur le quai, ne sera pas le résultat d’une simple addition (100 km/h + 10 km/h = 110 km/h), mais sera très légèrement inférieure.
. pourquoi a-t-on cru en l’addition des vitesses ?
– On était persuadé que le rythme de la succession du temps était partout le même (le principe de le relativité galiléenne reposait sur cette certitude).
– A partir d’un rythme temporel uniforme (semblable dans tous les repères inertiels – référentiels) il aurait suffi d’ajouter des vitesses les unes aux autres pour atteindre celle de la lumière. Un mobile sur lequel circulerait un second mobile, sur lequel circulerait un troisième mobile, sur lequel circulerait un quatrième mobile et ainsi de suite…en additionnant les vitesses de tous ces mobiles, on aurait fini par rejoindre la vitesse de la lumière.
– Sauf, qu’Albert Einstein démontra que le rythme temporel est différent selon les référentiels ou repères inertiels.
. Qu’est-ce qu’un repère inertiel et qu’elle est son importance par rapport aux vitesses ?
– Un repère inertiel est un point, un endroit, un objet (un mobile) que l’observateur choisit pour s’orienter et auquel il se réfère pour effectuer son calcul des vitesses. Donc chaque vitesse calculée, l’est à partir d’un certain repère inertiel.
– Ce repère est inertiel parce qu’il est doté d’une vitesse constante (sans accélération ni décélération). Quand on parle d’Einstein et de ce qu’on a fini par appeler la « relativité restreinte », on évoque toujours un quai de gare (dont l’apparente immobilité est due à sa vitesse constante, du moins à celle du terrain sur lequel il repose) et un train qui passe à vitesse constante (sans freiner ni s’arrêter à cette gare).
– Einstein a démontré que le temps n’est pas uniforme. A chaque repère inertiel – chaque référentiel -, lui-même doté d’une certaine vitesse constante, correspond un rythme particulier de succession temporelle.
. N’existe-t-il que des vitesses différentes et variables ?
– Oui, en ce qui concerne les divers repères inertiels : depuis le quai, on chronomètre la vitesse d’un coureur qui se déplace (selon le même sens) dans un train qui passe, la vitesse qu’on obtient est différente de celle qu’on aurait obtenue si on l’avait chronométrée en se trouvant dans ce train. Depuis le quai on verra passer, par exemple, le coureur à la vitesse de 110km/h, et si l’on vérifie que, pour sa part, le train roule à la vitesse de 100km/h, on en déduira, après soustraction, que la vitesse intrinsèque du coureur est de 10km/h. En revanche, passager du même train, on ne chronométrera pas le coureur qui passe dans les wagons, à la même vitesse. Il y aura une infime différence avec la vitesse calculée depuis le quai. Infime différence logique, puisque dans les deux cas on ne chronomètre pas depuis le même repère inertiel.
– Toutefois, il ne faudrait pas se mettre à délirer et croire qu’à partir de l’instant où l’on monte dans ce fameux train, on se retrouve dans un tout autre monde dans lequel les secondes et les mètres ( encore une fois, des conventions culturelles) n’existeraient plus, que le temps ne serait plus un ordre de succession et l’espace un ordre de coexistence. Dans ce train, tout autant que sur le quai, on verra les secondes se succéder sur le même chronomètre, et les mètres s’étendre devant les mêmes yeux, sauf que, par rapport au quai, les secondes se succèdent moins vite et que les mètres ont tendance à se contracter (dans le sens du déplacement). Ceci, de façon infime et imperceptible, tant les vitesses dont il est question sont misérables. Le temps et l’espace existent toujours mais ils diffèrent selon les vitesses des différents référents (repères inertiels).
– Non, il existe une invariabilité, celle de la lumière. La vitesse de la lumière est invariable parce qu’elle ne dépend d‘aucun repère inertiel (aucun référent). Vous vous trouvez sur le quai, la lumière vous parvient à 300.000 kilomètres à la seconde, dans le train : 300.000 kilomètres à la seconde, dans un avion : toujours à la même vitesse, dans votre voiture, vous croisez un véhicule très rapide : ce sera la même chose pour l’un et l’autre. Pourtant, pendant longtemps, on a cru que la vitesse de la lumière dépendait, sur terre, d’un repère inertiel, un référent qu’on appelait l’éther. On s’imaginait qu’il suffirait de dépasser cet éther pour retrouver une addition des vitesses normale, mais, au contraire, on finit par s’apercevoir que l‘éther n’existait pas. Il fallait donc « faire avec une sacrée contradiction » ! Heureusement, à la suite de chercheurs tels que Maxwell et Lorenz, Albert Einstein parvint à assumer et concilier la différence entre la vitesse de la lumière qui est constante et les différentes vitesses dépendant des différents référents (repères inertiels).
II . La découverte d’Einstein a révolutionné la physique, la science puis toutes les techniques qui en ont suivi la leçon, mais il n’est pas certain, et je dis cela sans insolence, qu’elle ait révolutionné la pensée humaine. J’entends par pensée humaine non point celle qui est consciente, enseignée et étalée sur la place publique – encore que le théâtre se déroule pour une grande part dans l’espace public (mais le théâtre n’est malheureusement pas très conscient de lui-même). Il ne faut plus le cacher, quel ahurissement, au cours des années de pratique et de réflexion, de s’apercevoir que le dispositif du Théâtre s’enlevait sur, entre autre, la distinction radicale entre le, les présents et la Présence, laquelle était efficiente grâce à l’effictivité :
– On tient pour homologues la lumière, en tant qu’elle est ce qui permet de voir, et l‘effictivité, en tant qu’elle est ce qui permet de sentir (on emploie, ici, les verbes « voir » et « sentir » non pas dans un sens anthropocentrique : toute représentation, à sa façon et à son niveau, « sent » et « voit »).
– Il serait ridicule de parler de vitesse pour l‘effictivité, comme on parle de vitesse pour la lumière, alors on parlera d‘allure (genre, façon et promptitude).
– On tient, aussi, pour homologues, les présents des sujets (vivants ou pas) et les référents (repères inertiels). Ils entretiennent, les uns avec l‘effictivité , les autres avec la lumière, le même type de relation. Si les présents diffèrent en raison de leurs situations, si les référents diffèrent en raison de leurs vitesses, l‘allure de l‘effictivité et la vitesse de la lumière sont invariables.
Einstein n’a peut-être pas révolutionné le tout de la pensée humaine, il n’en reste pas moins qu’il a bouleversé sa conscience. Une révolution se produira quand les scientifiques relieront ce bouleversement avec le secret que, malgré lui, le Théâtre détient. On parle de Théâtre, on parle évidemment des actrices et des acteurs, et non d’actants, bien qu’on soit sans illusions : ces pirates se battront corps et âme pour que personne ne vienne fourrer son nez dans le coffre qu’ils transportent et dont, au bout du compte, ils ne savent pas vraiment quel trésor il recèle.