Lexique 2

Posted by on Mar 11, 2014 in Blog, Théâtre

Actrice, Acteur : l’ordre et le choix de ces termes répond à deux priorités, rendre justice au rôle prépondérant des femmes dans l’histoire du jeu théâtral et re-situer la place des interprètes de Théâtre par rapport à  « l’agir ». Dans la volonté de maîtriser les rites de possession, particulièrement les groupes dionysiaques composés de femmes, les Cités grecques ont écarté celles-ci des Choeurs dithyrambiques et tragiques. Les femmes se sont donc retrouvées exclues du théâtre à la naissance duquel, elles avaient pourtant contribué. Pareil interdit fut repris par le Christianisme et encouragea la caricature dans le jeu, il fut question de signifier la féminité plutôt que de la re-présenter (cette tendance s’étendit, sans coup férir, à l’ensemble de l’interprétation). De plus, tout en se rappelant la distinction établie par Louis Jouvet entre le comédien qui se met au service de son personnage et l’acteur qui met en valeur sa propre personnalité (du moins celle que l’opinion lui prête), il est besoin de la relativiser. Certes, grâce à l’usage, le terme de comédien s’est libéré du genre de la comédie et désigne tout interprète de théâtre mais il ne conduit pas à se demander quelle est la nature des actes qu’il réalise sur scène. Sont-ce de simples actions ou des Actes ? L‘Actrice et l’Acteur, concourant à la re-présentation, ont pour vocation de dépasser les actions et d’accomplir des Actes.

actant : tout sujet réalisant une action, intentionnelle ou non, consciente ou pas, humaine, animale, végétale, organique ou objective. Sur scène, devant un public,  volontairement ou pas (cf; les animaux et les objets), l’actant réalise des actions qui peuvent être virtuoses et périlleuses, d’une grande qualité esthétique ou simplement quotidiennes, ou encore significatives ( l’artiste disant et récitant un texte est plutôt un actant qu’un Acteur). Tout interprète d’un spectacle n’accomplissant pas une re-présentation, reste un actant, mais il faut rappeler que l‘Actrice et l’Acteur sont aussi des actants. Chaque actant ne devient pas systématiquement une Actrice ou un Acteur, mais chacun de ceux-ci est obligatoirement un actant.

Acte : pour être, une action se doit d’être, d’abord et toujours, un Acte. Quand on réalise une action – ne serait-ce que celle de vivre organiquement – , on  n’est pas spontanément conscient d’accomplir aussi un Acte. Parmi certaines éventuelles autres démarches, la re-présentation Théâtrale tient une place d’autant plus importante qu’elle est la seule à se partager consciemment avec un public (le fait d’assister à des rites de possession est différent : y assiste-t-on en tant que « fidèle » spectateur qui se retrouve, de façon inattendue, possédé, ou avec la distance de l’observateur ?). La grande différence entre l’Acte et l’action est constituée par la mort. A l’égal de toute entité, l’action est vouée à la mort, tandis que l‘Acte frôle l‘immortalité dans la mesure où il dépasse la simple représentation et sollicite le processus de Re-présentation. Il est à noter qu’en reprenant le terme d‘Acte, la littérature dramatique évoque la spécificité du Théâtre.

action : à ce niveau, être revient à agir, quand bien même agit-on sans conscience ni intention. Il existe plus d‘actions qu’on ne veut le croire. Raisonner, conceptualiser,  métaphoriser, écrire, ressasser, s’exprimer verbalement, réciter sont aussi des actions. La mort menace l‘action. Ce n’est pas un hasard si, depuis des millénaires, le spectacle qui est, avant tout, un spectacle d’actions, se nourrit de combats meurtriers, de performances dangereuses ou d‘actions tellement difficiles que leur échec, même s’il n’est pas mortel, est une métaphore de la mort (le jongleur qui rate sa balle, le musicien et le chanteur qui manquent leur note). Aujourd’hui, en matière de politique culturelle, la tendance consiste à valoriser les arts de la scène, et c’est justice après le mépris dont ils ont eu à souffrir, mais un tel mépris repose sur le malentendu pour lequel le théâtre est un art du texte. Pareil malentendu encourage la confusion selon laquelle on croit maîtriser ce théâtre de texte en se livrant à des récitations, des proférations et des diffusions de »voix off ». Ce faisant, on ne fait que du spectacle d’actions verbales. La spécificité du Théâtre consiste à dépasser les actions et à accomplir des Actes, dépasser le seul spectacle au profit de la re-présentation.

 

sujet : appellation controversée, si ce n’est contestée. Dans certains milieux intellectuels, on craint qu’elle n’implique un sujet transcendantal. En revanche, l’ambiguïté conduisant à considérer le sujet soit pour un agent, soit pour un thème, aide à comprendre qu’il n’est définitivement ni un répertoire ni un dieu, d’ailleurs, ni l’un ni l’autre, il est seulement un maillon (indispensable) avec lequel on peut agir sur et avec les représentations. Il se tient donc au plan de l’agir et de l’effectivité, de la causalité. Il est composite, par exemple, au théâtre, une situation donnée sur scène implique le ( les) sujets- actant et la situation spectaculaire motive le (les) sujets- observant que sont les spectateurs. Chaque Sujet est composé d’un sujet-actant et d’un sujet(s)-observant, mais en réalité –  on ne l’a pas évoqué dans cette essai – il existe un troisième composant du sujet : le sujet-thématique, mais celui-ci n’est pas rigoureusement discernable, il peut être assimilé soit au sujet-actant (un témoins n’observe pas un actant seulement en tant qu’agent), soit au sujet-observant (durant le spectacle, l’actant peut ne pas exercer sur le seul thème de son numéro mais aussi sur le public).

présent : un ensemble sujet-observant/sujet-actant est un présent (étant entendu que chaque parcelle de matière – chaque parcelle de représentation – faisant partie de l’environnement d’une autre parcelle, observe cette dernière puisqu’elle la considère). Il n’existe pas de présent universel, on calcule du temps dans le cadre d’un présent, ce qui n’exclue pas de calculer, à partir d’un même temps, le temps de plusieurs présents si ceux-ci se trouvent rassemblés dans un même ensemble présent. Tout présent est voué à la disparition, donc tout enchainement de présents est menacé de mort. Un présent est toujours un après-coup, puisqu’il est sanctionné par son observant. Il se déroule depuis la perception de l‘action du sujet-actant jusqu’au démarrage effectif de l’observation par le sujet-observant : il peut être considéré comme une maintenance (« maintenant ») dans la mesure où il perdure dans l’infime espace temporel entre la perception et l’observation effective. Toutefois, dans l’emploi du terme « présent », on admet que sa « maintenance » soit prolongée car il serait absurde, quand on parle d’un présent, de s’attarder sur un nombre infini de présents.

la Présence : ne pas confondre présent et la Présence. Un présent dépend de l’association d’un sujet-actant et d’un sujet-observant. La fonction de sujet-actant est le propre de l‘actant, lequel réalise  les actions du spectacle sous le regard du spectateur. Le sujet-actant articule plus ou moins son présent à la Présence, ce qui confirme son caractère présent, mais s’il parvient à  mieux que de « l’articuler plus ou moins », l’actant devient une Actrice ou un Acteur. Si un présent est un après-coup, on parlera de la Présence en évoquant, de façon imprécise et non objective, une espèce « d’avant- coup ». Pareille évocation (à la tonalité quelque peu « fumeuse et fantasmatique »)  est due à la capacité créditrice de la Présence, capacité d’autant plus surprenante qu’elle consiste à s’anticiper elle-même. Symptôme du processus de Re-présentation, la Présence est de toujours « en présence », comme la moindre représentation se re-présente « en présence » et ne se trouve pas déterminée par un présent universel bien que, chaque fois, elle soit perçue par un présent particulier. Au même titre qu’un présent s’y articule, toute absence se réfère à la Présence (bien que l’opposé du présent, l’absence n’est pas celui de la Présence). Enfin il est amusant de noter, qu’en raison de leur constant travail d’articulation de leurs présents avec la Présence, ou plus simplement en raison de l’idées qu’on s’en fait et qu’on projette sur eux, nombre d’Actrices et d’Acteurs semblent « naturellement » dotés de Présence.

personne : terme ambigu dans la langue française, toutefois cette ambiguïté souligne la position que personne, en tant que personne, occupe. Selon la conception du monde qui a court, aucun sujet-actant, ni non plus aucun sujet-observant, ne résume une personne. Elle est plus que ça ! Certes, un sujet-actant en articulant, plus ou moins, son présent à la Présence, devient une personne, mais on conviendra que pareille articulation est si souvent ténue qu’il est difficile de parler de personne, au fond, il n’y a personne ! Une personne est une complétude, un ensemble de présents solidement articulés avec la Présence. Une telle définition pose un problème humaniste : elle n’exclut pas de tenir une créature non humaine pour une personne. Il s’agit de la faculté Théâtrale de jouer n’importe quel rôle, faculté qu’il ne faut pas réduire à la compétence de signifier, d’imiter ou d’illustrer tel ou tel des personnages.

personnage : théoriquement, il s’agit d’une figure représentée dans une oeuvre théâtrale, mais à quel niveau ? Le terme d’oeuvre semble renvoyer à un corpus littéraire ou pictural et  situer le théâtre au second degré. De plus, la représentation d’une figure renvoie à une représentation plus ou moins objectale, en tout cas significative. Il existe de nombreux personnages comme il existe de multiples figures mais cela peut se limiter à des masques, des grimages, des grimaces, des caricatures, donc des significations. Sous le regard du sujet-observant, le sujet-actant devrait articuler leur présent avec la Présence, mais se contentera-t-il d’illustrer, citer, mimer et signifier un parmi tous les personnages, ou franchira-t-il la frontière du jeu en impliquant, si besoin, un processus d‘identification avec le Personnage ? C’est l’enjeu d’une représentation : ou rester une représentation de significations, ou devenir une représentation en tant que re-présentation.

Personnage : il est préférable de traiter ce terme au singulier, sauf qu’on peut aussi prétendre qu’il y a, au moins, autant de Personnages qu’il existe d’Actrices et d‘Acteurs (lesquels, de plus, en jouent beaucoup au cours de leur carrière). Le Personnage est simplement la relation que toute Actrice ou tout Acteur peut entretenir avec le processus de Re-présentation. Relation difficultueusement simple tant les avatars (multiples personnages) sont nombreux et tant la technique et la volonté (pourtant indispensables) ne suffisent pas pour l’établir. Quelle est l’exacte différence entre le Personnage et la Présence ? On vient de présenter l’un comme la relation avec, et l’on avait présenté l’autre comme le symptôme du processus de Re-présentation, mais force est de reconnaître qu’il s’agit plutôt d’une nuance de rhétorique qui esquisse le glissement du point de vue.   (à suivre)