possession : adopté, bien malgré elles, par les populations « animistes », mais imposé, en fait, par les sociétés occidentales formatées par les religions révélées. La possession est un des symptômes, les plus essentiels, qui affectent les « initiés » – et des non initiés – au cours d’une cérémonie d’un des différents rites animistes. Contrairement à ce que semble dire le terme de possession, le sujet de celle-ci ne se possède plus. Il a perdu conscience, ce qui ne l’empêche pas d’accomplir un certain nombre d’actions et de prononcer certaines paroles d’une langue qui, parfois, ne lui est pas maternelle. Il est alors possédé par autre chose que lui-même dont il n’a plus la maitrise. Toutefois, cette maîtrise semble appartenir à une culture qui peut lui être étrangère et dont l‘expression est contrôlée par un « prêtre » ou une « prêtresse. Les cultes animistes perdurant en Afrique, dans les Caraïbes, en Amérique du sud et dans plusieurs régions d’Asie, furent très présents en Europe, en Afrique du nord, au Moyen Orient et en Amérique du nord, avant que d’être éradiqués par la puissance des religions révélées. En ces matières, on a à faire à un déni : selon l’opinion courante, en Occident les cultes animistes n’auraient, pour ainsi dire, presque jamais existé et ceux qui, dans le reste du monde, n’auraient pas complètement disparu, se seraient rapidement associés et mêlés aux « grandes religions ». Il est, tout de même, curieux de constater que, dans beaucoup de zones de l’Islam et dans quelques courants du Protestantisme, les cérémonies suscitent, aujourd’hui, des manifestations de possession. Dans la Grèce antique, particulièrement hors des Cités, le culte Dionysiaque (Dionysos fut considéré comme le dieu du théâtre), donna naissance à des choeurs de jeunes femmes qui couraient la campagne en état de possession. Ces possessions furent les ancêtres des démarches d‘identification, mais, rapidement, les Cités mirent la main sur ces manifestations dangereuses pour l’ordre public et entreprirent d’en canaliser les pulsions en organisant des Choeurs masculins plus disciplinés, puis encouragèrent les démarches de signification propres à la Tragédie et à la comédie. Le regard porté par l’Occident sur la possession est celui de la raison et il serait périlleux d’en faire fi. On est pris entre deux risques : celui qui consiste à se soumettre sans réserve à la raison et à refuser l’existence de « tout autre » chez l’homme et tous les êtres vivants, celui qui revient à s’abandonner à l’irrationalisme sans présumer des crimes que cela peut entraîner. La situation est difficile pour une réflexion sereine sur le Théâtre. Qu’en saurait-on réellement de celui-ci si l’on passait sous silence la possession antique et le travail d‘identification sous le prétexte qu’il s’agirait là de manoeuvres attentatoires à une rationalité à courte vue pour laquelle le théâtre et son jeu doivent se limiter à la signification, l‘expression et au seul spectacle ?
identification : le manque d’information scientifique rend impossible de savoir si, dans l’évolution de l’espèce humaine, la possession précèderait l’identification, ou l’inverse. Il n’est pas question du même plan : la possession semble relever du plan sociétal, tandis que l‘identification relèverait du plan individuel. Vouloir trancher entre ces domaines apporte la preuve qu’on souhaite mettre en avant telle ou telle idéologie. On dira plutôt que la possession et l‘identification sont corrélatives. Il n’en reste pas moins que l’identification est une extirpation de la possession : si « on se prend pour quelque chose », c’est, qu’au moins, l’on n’est plus pris par cette chose. Encore qu’on pourrait « chipoter » et dire que, pour qu’une chose nous prenne, il est besoin qu’elle soit déjà capable de se prendre elle-même ; franchement, je ne sais pas… Ce dont je suis certain, est que le procès dressé contre l‘identification, en tant que démarche aliénante, est injuste et caricatural. La prétendue non identification brechtienne (passionnante d’un point de vue stylistique) est un leurre : l‘identification ne se réduit pas au niveau conscient, elle est, avant tout, un processus inconscient et chaque individu, contrairement à qu’il se plait à croire, ne sait pas à quoi il s‘identifie ! Le principal étant, qu’au moyen de ce processus, quand bien même n’en connaîtrait-il pas la direction, il parvient à se sentir, puis à se penser distinct, non seulement de ce avec quoi il ne s‘identifie pas, mais aussi de ce à quoi il s’identifie. Ce deuxième point, d’autant plus qu’il ne sait pas exactement à quoi il s‘identifie et que, ne le formalisant pas, la seule chose qu’il discerne, plus ou moins clairement, est sa propre différence. De la possession et de l’identification, il est peu sérieux de dire laquelle précède l’autre, en revanche, on se rend compte que, dans l’évolution humaine, l‘identification précède la conscience et, à plus forte raison, la raison. « Il discerne sa propre différence », c’est à dire qu’il ressent cette part de néant qui se trouve en lui, laquelle se différencie de toute chose, à commencer de lui-même et, ce faisant, lui fait envisager ce lui-même. Maintenant, il est nécessaire de souligner deux différences. D’abord celle primordiale, entre signifier et s’identifier. Ce n’est pas du tout la même chose de signifier que l’on ressemble à tel ou tel, et de vivre dans la situation de tel ou tel. La signification est, certes, une représentation mais il s’agit d’une représentation encore proche d’un objet dont on détient la propriété (avant que de l’échanger) mais dont on ne partage aucune qualité (il y a, si on se permet de le dire, un peu d’être dans l’identification). Ensuite, opératoire, la distinction entre l‘identification qui se « veut » très consciente à tel ou tel personnage précis, au travers de ses caractéristiques caractérologiques (et physiques), et l’identification au Personnage, cette sorte de surspectateur qui se retrouve dans « le tableau », dans le rêve, dans toute situation. L’identification au Personnage et non à un personnage particulier est beaucoup plus profonde. Elle dénote la corrélation de la possession et de l’identification, particulièrement en ceci que le Personnage est la relation établie avec le processus de Re-présentation. Les deux types d‘identification, celle consciente à un personnage et celle plus profonde au Personnage se renforcent l’une l’autre.
fiction : les lignes consacrées à la possession et à l‘identification induisent une mise en question des caractères positifs et incontournables de la réalité et de la vérité. Celles-ci auraient le plus grand mal à revendiquer la pureté du cristal et sembleraient, bien souvent, ne partager avec ce dernier que sa qualité de miroir, autant dire la compétence concrète qu’il apporte à l’illusion ; mais, rigoureusement, que désigne ce terme d’illusion ? S’agit-il du contenu qu’on donne à accroire ou de la matière et des moyens qu’on utilise pour ce faire ? Pour une grande part, les moyens donnent l’impression d’être tangibles et l’on profèrerait une contre vérité en ne leur accordant aucune réalité – le matériau dont est fait, par exemple, un panneau de signalisation routière existe positivement -, mais, franchement, où s’arrête le matériau et où commence ce qui ne relève que de l’imagination et de sa mémoire ? Question d’autant plus pertinente depuis qu’on a constaté que la matière était constituée de matière matérielle et de matière immatérielle (césure, on le rappelle, qui dépend de chaque espèce, de chaque catégorie et de chaque niveau). Matériels ou immatériels, les moyens sont toujours des ensembles de la matière, plus exactement des représentations. Et la matière de ces représentations est de la fiction. On a pour habitude de tenir la fiction pour une création de l’imagination, mais, pour ce faire, on implique le verbe « créer » qui suppose qu’on « tire du néant ». Le rapport à celui-ci est le rapport qu’entretient le processus de Re-présentation, lequel permet l’existence de toute chose, de toute représentation. Selon la considération de chacun à son niveau, le monde est composé de représentations lesquelles sont constituées de fiction. Un tel constat risque de susciter la colère de tous ceux qui trouveront alors, que tout ne serait plus que mensonge ! Ils se tromperaient simplement de niveau, la séparation du vrai et du faux ne se tient pas là : la question de la vérité est une question d’ajustement, l’ajustement, selon la considération qui a cours, entre diverses représentations (constituées de fiction) et non entre diverses fictions au sens où l’entend la pensée traditionnelle. Il n’en reste pas moins que le risque de céder à cette traditionnelle confusion indique la menace pesant sur la fiction qui est, à l’instar des représentations, de se voir considérée comme un objet. Paradoxalement, on éprouve quelque mal à tenir la fiction pour un processus, bien qu’on ne cesse de sous-entendre qu’il s’agit d’une manoeuvre. Evidemment, si la fiction est une « matière fictive », on a du mal à la situer. En fait, tel qu’on la présente, il lui manque une qualité qui préciserait ce qu’elle « est » ou à quoi elle procède. Ce type de qualité ne correspond pas à son rôle mais plutôt à celui de l‘effictivité.
Effictivité : on évoque le point nodal du présent essai, justement en nouant un néologisme avec deux termes apparemment contradictoires : effet et fiction. En dotant ainsi la fiction d’effectivité et en élargissant la conséquence de celle-ci, on rend compte d’une surprenante réalité à laquelle chacun s’est pourtant habitué : la fiction n’est pas sans effet, ne serait-ce, par exemple, sur la sensibilité des êtres vivants (que ce soient les humains affectés par les histoires qu’on leur raconte, les animaux trompés par les leurres, ou un végétal vers lequel on projettera le rayon d’une lampe électrique qui lui procurera le même effet qu’un rayon de soleil). La question se pose : si la fiction n’est pas sans effet sur la sensibilité des êtres vivants, pourquoi n’en aurait-elle pas sur l’ensemble de la matière ? Admettre pareille éventualité reviendrait à admettre que l’ensemble de la matière serait doté de sensibilité, hypothèse qui n’est pas automatiquement absurde à partir du moment où l’on ne parle plus de matière mais de représentation et, surtout, à partir du moment où l’on ne restreint pas le vivant à ce qu’on a l’habitude d’appeler le « vivant » et où l’on ne divise plus le monde entre ce qui serait inerte et ce qui serait vivant (attention au simplisme : cette division est parfaitement nécessaire pour la recherche et vouloir l’effacer en pratique conduit à un réductionnisme semblable à celui du « savant » soviétique Lyssenko qui, en plein stalinisme, affirma, à l’encontre de cette science « réactionnaire », la biologie (!) : que les variations obtenues sur un organisme grâce à l’intervention du milieu, comme les variations de température, pouvaient enrichir cet organisme, le faire muter et lui donner la possibilité de transmettre les modifications dont il avait bénéficié. Malheureusement, Lyssenko ne parvint pas à faire muter et multiplier blé et maïs.). La Présence est le symptôme du processus de Re-présentation, et l‘effictivité est l’efficience de la Présence. Positivement insaisissable, parce qu’absolument non substantifiable, afin de pouvoir l’évoquer, on comparera son allure à la vitesse de la lumière avec laquelle elle partage une forme d’invariabilité. De même façon que la vitesse de la lumière ne dépend d’aucun des référents existants, l’allure de l‘effictivité ne dépend d’aucun des présents (lesquels ne sont pas assimilables à la Présence).