Lexique 4

Posted by on Mar 18, 2014 in Blog

 

signification : on  a donné l’impression d’utiliser le terme de signification comme repoussoir. En fait, on entreprenait une double clarification : tout d’abord, opposer, sans la moindre concession, la démarche de re-présentation d’avec la démarche et l’emploi de la signification. Ensuite, ne pas hypothéquer la simplicité avec laquelle apparait la signification à l’esprit humain par la richesse et la soit-disant complexité des significations qui ont cours. Une représentation est la conséquence d’une re-présentation, d’un « processus » (qui n’est, la plupart du temps, pas intentionnel), d’un évènement aussi bien « ce faisant » que « se faisant ». Une signification, bien sûr, est une représentation mais sa nature, pour la perception humaine, se rapproche de celle qu’elle prêtait à l’objet. Certes, il s’agissait, d’un objet intellectuel mais d’un objet tout de même, nanti de substance et de quelque rigidité. C’est dans le domaine qui semblait bénéficier le moins de positivité et de tangibilité que la considération humaine s’est spontanément attachée à mener un travail de réification. Une démarche de signification consiste à disposer des objets qui, bien qu’intellectuels, restent des objets. On ne pénètre jamais vraiment l’objet parce qu’on ne fait que tomber sur d’autres objets qui le composent. Une démarche active de pénétration semblerait préférable, sauf qu’il ne faudrait pas la réduire à de la mobilité. On se contenterait alors, de faire bouger les objets (comme par exemple ceux du corps humain). En réalité, on ne pénètre pas les objets, on ne fait que les ouvrir. Ce que l’on pénètre, ce dans quoi l’on s’introduit, c’est une représentation. Si l’élaboration de la signification sépare la part immatérielle de la part matérielle et, pour la saisir, la cristallise dans un objet, l’authentique re-présentation, en prenant son essor, ne sépare pas « matérielle » et « immatérielle« . Certes, la signification est une représentation, mais, « chargée de remord », elle s’efforce de revenir à l’objet. Contrairement à ce qu’on veut croire, la production de l’effet de signification est loin d’être complexe, elle est même rudimentaire. On a du mal à l’admettre tant on est impressionné par l’immense richesse des significations qui peuplent la pensée humaine. On refuse de comprendre qu’une simple forme qu’on perçoit, est déjà une signification ! Le moindre formalisme et le moindre esthétisme, à l’égal du plus profond des messages, relève du strict ordre de la signification. Le mouvement ne suffit pas pour en sortir. On connait bien les mouvements d’idées ou simplement de formes, la chorégraphie des significations ne permet pas de dépasser la signification.

expression : la signification et l‘expression sont dans la même ligne. Quand on exprime le jus d’un fruit, on extrait ce jus, la plupart du temps en pressant ce fruit, on le fait sortir, on le manifeste. Et ce jus est la signification, laquelle peut être « intellectuelle » ou rudimentaire. L‘expression est du domaine du sujet, précisément du sujet-actant qui « agit » sous l’attention du sujet-observant. Le sujet-actant s‘exprime dans le cadre et à partir des présents et non de la Présence. Le matériau et le moyen d‘expression sont limités à ceux du et des présents, même si la technique et la technologie employées pour leur manifestation sont complexes et sophistiquées (on parle d’une sophistication de la pensée : l’intelligence). Ces techniques et technologies peuvent s’en tenir au cri et au soubresaut, comme elles peuvent aller jusqu’au discours philosophique ou à la figure géométrique. L’éventail de la signification et de l‘expression est énorme, cela est trompeur, on éprouve quelque mal à placer sur le même plan une éructation et une équation, pourtant elles sont du même ordre. Bien sûr, pour vivre et pour jouer, il est besoin de s‘exprimer. Il n’existe pas de grandes Actrices ni de grands Acteurs sans une certaine maîtrise expressive, mais s’ils ne parviennent pas à outrepasser les présents, ils restent dans l‘expression et la signification.

spectateur : le  sujet-observant tient un rôle fondamental dans toute réflexion sur le Théâtre, mais pas seulement dans celle-ci. Certes, il n’existerait pas de spectacle sans spectateur ou, du moins, sans sa potentialité et sa virtualité, mais le spectacle est partout, à tous les niveaux et le spectateur n’est pas seulement celui qui est doué de l’intention de l’être, il peut aussi n’être qu’un témoin ou, encore, quelque chose qui se trouve affecté par une autre chose sans le savoir. On est toujours sujet-observant, quand bien même ne se livre-ton à aucune observation délibérée, et la science a fait comprendre que, intentionnellement ou non, un observateur influe sur ce qu’il observe. De toutes façons, un sujet-actant est toujours sujet-observant de lui-même, quelle que soit la conscience qu’il est capable d’avoir de ce lui-même. Quand il y a spectateur, il y a spectacle ; quand il y a Actrice ou Acteur, il y a possibilité de Théâtre ; le spectateur devient spectateur de l’Actrice et de l’Acteur, donc il y a spectacle de théâtre, donc Théâtre. Encore faut-il que ce spectateur soit appelé à observer plus qu’un spectacle d’expression et que le sujet-actant, en dépassant cette expression, lui fasse percevoir plus que des significations et lui donne à considérer la parole de la Présence.

 

 parole : le sujet-observant se trouve interpellé par ce dont il est le spectateur. Pareille interpellation est une parole, la parole. La tradition lexicale pousse à entendre cette parole d’abord comme oralité, puis comme verbalité. Heureusement, la linguistique a replacé l’ordre des choses en tenant la parole pour une faculté. Le recadrage aide à comprendre, non seulement  pourquoi le son, la bouche et sa langue, déterminent le lexique, mais permet aussi d’admettre que l’interpellation ne se manifeste pas uniquement au travers des particularités et des compétences humaines. Il n’y aurait pas que les hommes qui parlent, même si, au niveau expressif, ils seraient les seuls a avoir forgé et développé des langues. Toutefois, l’acceptation de ce « relativisme » ne doit pas aveugler et rendre sourd : la compétence organique de la phonation et de l’audition, ainsi que son articulation avec le cerveau sont, chez l’homme, exceptionnelles et incomparables, notamment avec ses autres compétences physiques. Que cela plaise ou non, l’être humain ne dispose pas des mêmes capacités physiques que les singes et si on se rend compte, enfin,  que ces derniers parleraient plus aisément au moyen de gestes, cela ne veut surtout pas dire qu’il en serait de même pour les humains. En dépit de leur virtuosité (ou peut-être à cause d’elle (!)), force est de constater que les danseurs, les mimes et les acrobates sont contraints d’en rester au niveau expressif. Qu’on le veuille ou non, le dispositif audio-phonatoire des humains autorise des nuances imperceptibles et permet de se libérer, en partie, des grilles de la signification. De tels constats mettent en garde à l’encontre de deux excès piégeant : croire qu’il suffirait de passer l‘expression verbale par profits et pertes, ou, au contraire, se persuader que la parole n’a qu’une seule guise, l’expression verbale humaine. Il existe un troisième piège qu’il faut avoir l’honnêteté de prévenir, un piège tendu à tous les non acteurs qui,  au cours de leurs numéros et leurs exercices, s’efforcent de « faire du Théâtre ». Soit, ils ne feront que du mauvais théâtre, pour la simple raison qu’il ne sera qu’expression, soit ils y parviendront et se mettront en danger car ils entraveront leurs capacités d’action et d’expression, lesquels sont absolument nécessaires pour accomplir leurs performances (ils pourront toujours arguer que le temps n’est plus « aux performances », le public populaire finira par se détourner d’eux). L’efficience de la parole trace une diagonale de la Présence à l’expression du sujet-actant (quel qu’il soit). La Présence interpellante est la parole et le sujet-actant appuie son expression sur elle. Le sujet- actant peut éventuellement aller plus loin et, devenant Actrice ou Acteur, s’inscrire dans la re-présentation grâce à elle.

texte : le privilège accordé par l’Occident à la verbalisation ( notamment les différentes écritures syllabiques), a fait que le texte théâtral fut avant tout la notification de répliques, donc de phrases prononcées par les personnages – ou à prononcer par les acteurs. De là à penser que le texte représentait la parole et qu’il était ce en quoi consiste le théâtre, il n’y avait qu’un pas à franchir, lequel perdure dans presque tous les esprits, paradoxalement aussi dans ceux qui, pourtant, défendent le corps contre l’empire du verbe, pour la simple raison qu’ils prétendent que ce corps peut aussi bien « dire » que les mots. Voilà l’origine de leur calamiteuse ambiguïté, ils veulent que le corps « dise » et non qu’il re-présente, sauf à le charger « d’illustrer », ce qui revient à « dire superfétatoirement », le corps étant réduit, dans ce cas, à de simples représentations. Avec de tels présupposés, le texte avait un boulevard (c’est le cas de le dire) devant lui et chacun de croire que ce texte était le théâtre à lui tout seul ! Certes, on connait le Théâtre du passé au travers de grands chefs d’oeuvre littéraires, mais ce type de connaissance est seulement inductif, le Théâtre c’est bien autre chose et les « savants » se trompent lorsqu’amoureux du monde du spectacle, ils entreprennent d’écrire des pièces. Le Théâtre ce n’est pas ça, et le propre d’un « savant » serait de plutôt s’efforcer vers ce que « sont » les choses. Néanmoins il ne faut pas en tirer la conclusion que le Théâtre devrait se passer de texte. Le Théâtre a besoin de texte, la re-présentation a besoin de texte pour qu’on joue, ce qui demande qu’on le joue. Il n’est pas question d‘agir mais d‘Acter, de re-présenter et quel que soit le texte (répliques, didascalies, notes, équations), de le jouer. Non pas de le dire, le mimer ou l’illustrer, non pas de l’exécuter mais de le jouer ! Le texte est le fronton contre lequel le sujet-actant, qui devient Acteur, renvoie et fait rebondir son jeu.

 

Afin de clôturer le présent essai de façon pédagogique, on développera un raisonnement en trois points, lesquels seront, bien sûr, des points de définition lexicale :

1 – mise en scène de la situation : mettre en scène au théâtre consiste toujours à mettre en situation quel que soit le niveau auquel se tient celle-ci. Une situation peut être strictement organisationnelle, rigoureusement esthétique, didactiquement démonstrative, sociologiquement instructive, psychologiquement émotive, elle peut individualiser les personnages, au contraire les regrouper dans un ou plusieurs collectifs qui adopteront un aspect choral, elle peut se tisser au moyen de multiples points techniques précis (par exemple diriger « à l’intonation » et imposer le moindre déplacement), comme elle peut naitre à partir d’ambiances générales données par le metteur en scène ou proposées par les Actrices et les Acteurs. Même les points caractériels des personnages font partie de leur situation bien qu’ils aient tendance à la figer, alors qu’elle tendrait plutôt à s’inscrire dans une dynamique. La perception du monde dépend du type de situation et de la proportion qu’on lui prête. Ainsi, le monde macroscopique, dans lequel les hommes ont l’impression d’habiter, ne leur impose pas les mêmes critères que ceux qui auraient cours dans le monde quantique. Chaque monde est un théâtre – théâtre des opérations-, une mise en scène, bien que celle-ci n’ait pas de créateur particulier, d’ailleurs il faut remarquer que la mise en scène conduite par une personne particulière s’effectue à partir d’un certain stade du ressaisissement. Prisée tant par la philosophie que par la sociologie, la situation est l’outil qui permet à l’art théâtral de prendre en compte  la considération. On emploie une situation, avec tous ses attendus psychologiques, pour communiquer aux Acteurs un ensemble de considérations qui, en raison de leur simplicité rigoureuse, rugueuse et rudimentaire, risqueraient de leur rester étrangères.

2 – considération : si la Présence est le fait qu’il y ait de l’Autre en toute représentation, la considération est le fait de voisiner avec l’autre à l’extérieur, le fait d’admettre cet autre (quitte à le rejeter), de le supporter (quitte à le combattre), de le reconnaitre (quitte à le désavouer), d’en avoir une certaine conscience selon certains critères, d’en avoir une perception et de porter un premier jugement à son endroit. Un ensemble de considérations suscite la prise en compte d’une situation particulière. Depuis la représentation la plus rudimentaire jusqu’à l’ensemble de représentations qui, au travers de cet assemblage, acquiert de la conscience, la considération permet de subir l’autre et de l’estimer. Le symbole de cette considération est le sujet-observant qui tient le sujet-actant en tant qu’autre et, ce faisant, se tient lui-même pour un autre, donc pour un sujet. La capacité de considération de la moindre représentation explique la tentation du solipsisme, cette conception pour laquelle la seule réalité tangible est soi-même, alors que la reconnaissance des autres explique que l’on se reconnaisse soi-même pour un autre, donc qu’on bénéficie de réalité. Ne pas confondre l’Autre avec l’autre, lequel peut se trouver à l’intérieur de quoi que ce soit, intérieur que l’on qualifiera d’interne.

3 – ressaisissement : grâce à l‘effictivité qui est l’efficience de son symptôme, la Présence, le processus de Re-présentation permet des re-présentations qui suscitent des représentations. Sous l’attention des sujets-observant, les sujets-actant, interpellés par la parole de la Présence et nantis de leurs présents, mènent des actions sur ces représentations et les expriment sous forme de significations. Un tel déroulement se déploie verticalement, c’est à dire à chaque instant, et latéralement, c’est à dire historiquement. Au cours de ce déroulement en deux dimensions, apparaissent des niveaux et se produisent des phases de ressaisissement. Ceux-ci sont l’occasion non seulement d’arrêts, de moments et de point de sidération – lesquels expliquent la capacité de considération –, mais surtout des reprises qui donnent l’opportunité de mutations. Il n’est pas impossible que l’apparition de la conscience animale puis humaine n’en soit la conséquence, en tout cas l’invention, chez le sujet humain ainsi que dans les sociétés humaines, du Théâtre, est l’exemple d’une mutation de ressaisissement. Comme le furent, d’ailleurs, les choix de points de vue scientifiques sur les choses. On souhaite qu’avant de disparaître, parce que trop désuète, la mutation Théâtrale puisse modestement inspirer les ressaisies et les mutations scientifiques.

Paris, le 15 Mars 2014

 

 

 

( Chers amis, je vais me consacrer à la correction des épreuves de « la leçon du Théâtre », puis je reprendrai ce blog dans trois semaines. A bientôt. JB)