Notre confrontation avec certains cas d’autisme (cette catégorie pathologique, telle qu’elle est actuellement répertoriée, comprend un grand nombre d’exemples qui ne sont pas semblables et auxquels il serait malhonnête d’attribuer une seule cause), nous a révélé, souligné et confirmé plusieurs confusions, notamment en ce qui concerne le théâtre. Ces confusions s’enlèvent, toutefois, sur une raison principale dont l’explication conduit à noter deux conséquences importantes dans la façon de définir ce qu’on appelle le théâtre.
En effet, la raison principale entraine une confusion tellement inouïe qu’elle masque son énormité : réduire le théâtre au théâtre de texte ne revient pas à le limiter à un seul genre, lequel serait particulièrement prisé en occident. Le restreindre au texte ne touche pas seulement les différents modes d’expression employés sur la scène, mais touche, en premier lieu, la conception que l’on a du rôle que le texte tient au théâtre et, par là même, à la conception que l’on se fait de la substance de ce texte. Cette confusion est corrélative d’une autre qui consiste à ne pas sentir la différence entre jouer et simplement interpréter, donc, dans le cas du texte, à ne pas établir de distinction entre « jouer » et « dire ». Ce manque de distinction s’étend jusqu’à ne pas percevoir ce qui différencie le jeu de « l’exécution », son énormité est couverte par le bruit des voix et le caractère des significations (particulièrement véhiculé par le texte). Certes, on peut estimer que le jeu fait partie de l’ensemble des types d’interprétation, mais il est dangereux de tenir le jeu des acteurs de théâtre pour de l’exécution interprétative et de croire qu’il suffit de dire un texte pour le jouer.
Jouer ne se limite pas à jouer un texte, jouer un texte ne se restreint pas à le dire et le transmettre. Tout d’abord, le jeu théâtral ne se réduit pas à une expression qui prétendrait être vide et n’exprimer qu’elle-même, dans ce cas le « même » qu’elle exprimerait serait bien plus riche que ce que nous entendons par un simple vide. Il s’agirait de l’expression elle-même, de la capacité qu’elle a de s’accomplir, de sa possibilité d’agir, de sa possibilité d’être en action, donc sa possibilité d’être, donc l’être de son être. Il s’agirait de la position fondamentale qu’elle entretient avec l’être. Ce problème par rapport à l’être de chaque chose et de chaque action, quand bien même cet être n’aurait-il aucune existence, est le problème qui se pose à chaque fois qu’on entend s’adonner au jeu théâtral. Jouer au théâtre ne consiste pas à se contenter des « objets » (matériels et intellectuels) dont nous disposons et qui disposent de leur être en dehors de nous, mais demande que nous leur redonnions de l’être, une façon d’être communiquée aux spectateurs. Donc, en jouant au théâtre, on ne se contente pas de faire fonctionner la communication avec le public, on ne se contente pas d’être un des rouages de celle-ci, mais on fait « être » cette communication. La première exigence n’est pas de savoir s’exprimer, d’apprendre les outils de l’expression et de savoir les utiliser, la première exigence est d’être en mesure de faire que cette communication soit. On a trop oublié que, pour le théâtre, celui-ci précède l’expression. On l’a trop oublié parce qu’on a trop cédé à la mode et à l’opinion et, ce faisant, on a laissé se déformer, non seulement la conception qu’on avait du théâtre, mais aussi, entre autre, l’ordre perceptif que nous entretenions avec l’autisme.