En diagnostiquant que, chez les autistes profonds, le dispositif de subjectivité ne se serait pas mis en place,implicitement on affirme le caractère primordial de ce dispositif et, qu’on le veuille ou non, on associe la subjectivité avec l’être, quand bien même n’accorderait-on aucune existence ni aucune efficience à ce dernier. On nous rétorquera aussitôt qu’il s’agissait d’une question de savoir : est-ce que l’autiste sait qu’il est ? Sauf qu’en constatant le manque d’un dispositif subjectif, on tend à mêler le sujet avec la propensité à savoir et celle-ci avec la forme d’être accomplie. A la limite, on met en doute le fait d’être si on ne le sait pas. Ceci explique pourquoi, durant des siècles, on a accordé un tel privilège à la conscience, au risque de la voir refuser toute existence à ce qu’elle refoule ! Selon l’opinion qui prévaut dans le monde, quand on pose la question du sujet, on en vient toujours à poser celle de la conscience et, ce faisant, on finit toujours par faire appel à celle du savoir. Un savoir en tant qu’il est encastré dans la mémoire et qu’il consiste à recenser, manipuler les objets de cette mémoire. D’une certaine façon, « avoir conscience » et « prendre conscience », c’est choisir les objets mémoriels convenables, les observer avec des outils à la mode et en tirer des conclusions repérables et admissibles.
La pratique du théâtre nous fait ressentir que tout ce qui surgit, apparait relativement « après coup », mais, de son côté, la conscience dont nous parlons, surmarque la postériorité, jusqu’à faire oublier son caractère d’après coup, même lorsqu’elle ne s’attarde que d’un milliardième de seconde. Elle la rend définitive ainsi qu’elle doit se comporter dans un objet posé là devant nous – mais hors de nous. La conscience dispose alors d’objets convenables qu’elle insère dans des suites qu’on appelle « significations ». Cette conscience a tendance à se coller à tous les objets, à ne presque plus s’en différencier, si ce n’est que les significations lui ménagent un minimum de recul pour regarder et disposer d’un écart minimum afin de « pénétrer », c’est à dire d’être perspicace. Toutefois, on se trouve là, confronté à une contradiction : si la conscience parvient quelque peu à se différencier des objets qu’elle manipule, les significations lui apportant un espace minimum de pénétration, cette pénétration s’effectue à l’extérieur des objets mêmes et s’en tient à leurs significations. Coller aux objets revient à coller à leurs significations. On ne ferait preuve de perspicacité qu’au travers d’un monde significatif. Le théâtre a toujours été très lucide quant à cet obstacle qui réduirait la conscience à n’être, au travers des significations dont elle se nourrit, que la conscience de la mémoire, si ce n’est à n’être qu’une mémoire, ce qui, on devra en convenir, ne la distinguerait pas vraiment d’un ensemble de données saisies, regroupées et classées par l’informatique.
Le théâtre, en revanche, prend les écailles des significations – ces « après coup -, les fait ressurgir et revivre en les représentant. En les représentant, non en les signifiant (ce serait de la « sursignification). Bien sûr, il ne faut pas se le cacher, le théâtre a besoin des significations qu’il joue. Afin de jouer, le théâtre a besoin des significations du texte (répliques ou didascalies) qu’il ne laisse pas comme de simples objets et dont il fait des choses qui sont. C’est vrai, à notre époque, bien des gens de théâtre, et non des moindres, refusent de dépasser ces significations qu’ils veulent, au contraire, complexiser, ceci dans le but de transmettre des messages qui seront, à leurs yeux, d’autant plus forts qu’ils ne seront pas joués. Beaucoup de metteurs en scène à la mode privilégient le didactisme. Ce faisant, ils confortent tous les « thérapeutes » qui voient dans l’autisme un manque de mise en place d’une subjectivité qu’ils assimilent à la conscience et à la signification, si ce n’est à l’être. Comme si les autistes n’étaient pas !