Le sujet n’est pas l’être. Contrairement à cette évidence soutenant l’objection des trois amis psychanalystes avec lesquels nous discutions. Nous écrivons « évidence » parce qu’il est probable que la moindre réflexion les aurait conduits à ne plus trouver si assuré que ça, ce préjugé. Pourquoi ne pas avoir entamé cette réflexion ? Eh bien, ce n’était pas le sujet (!), ce n’est d’ailleurs presque jamais le sujet, tant ce dernier est devenu un « homme à tout faire » sur lequel personne ne s’interroge plus, à commencer par lui-même. La seule chose qu’à nos époques, on lui accorde, au sujet, c’est de vouloir le libérer. Pour dire le vrai, quitte à faire du mauvais esprit, on ne lui accorde pas de « vouloir le libérer », on lui impose plutôt, c’est de l’esclavagisme à l’envers. Dans presque toutes les définitions de la langue française, le sujet est d’abord, et avant tout, ce sur quoi on porte la réflexion. Pour commencer, le sujet est défini passivement et l’on ne semble pas avoir le temps de définir celui qui « porte la réflexion ». Ce caractère passif qu’on lui attribue explique que, longtemps, on ait tenu ce sujet pour un esclave, un serf, le serviteur et le sujet d’un seigneur. Par devers soi on devait bien sentir qu’il y avait, tout de même, quelque chose de soi dans ce sujet asservi – par exemple, dans le système féodal, le seigneur est toujours le vassal d’un suzerain – et l’on entreprit, progressivement, de le libérer, mais libérer demandait d’abord d’éclairer et, pour mieux échanger les chaines de l’esclavage contre les menottes de la liberté, on fit porter les lunettes du savoir. Ce faisant, on se libérait soi-même. Il est constant de constater que ceux qui consacrent leur vie et leur engagement à, de quelque façon, libérer les autres, sont persuadés d’y gagner encore plus de liberté pour eux-mêmes. En réfléchissant sur les autres on ne peut s’empêcher de réfléchir sur soi-même, on en vient à se penser, on finit dans la peau du « sujet pensant ». L’expression, reprise d’un grand auteur, » l’homme est un roseau pensant », au-delà de la fragilité et de la flexibilité du roseau, dit bien plus : l’homme est un sujet pensant. Selon cette expression et selon l’opinion, quand on pense, on est. De là que lorsqu’on ne pense pas, on n’est pas, ou du moins on est un être subalterne, il n’y a qu’un pas, lequel a conforté le racisme, l’utilisation et le mépris à l’encontre de la nature et des animaux.
Pour le théâtre, à la condition qu’il ne s’en tienne pas à un théâtre didactique, un spectacle des significations – aussi intelligentes soient-elles -, qu’il existe ou qu’il n’existe pas, l’être est à prendre en considération. Plutôt que de débattre sans fin sur l’existence ou la non existence de l’être, nous parlerons, depuis le théâtre, de la Re-présentation, processus qui fait advenir les représentations (tant intellectuelles que matérielles). Dans cette perspective, il nous semble difficile d’affirmer que l’on est parce que l’on pense, mais soyons bien clairs : afin, entre autre, de ne pas écarter tous ces êtres qui, soit-disant ne « penseraient » pas, nous n’entendons nullement par « pensée », la seule réflexion subjective telle que nos sociétés acceptent de la reconnaitre. Il ne nous semble pas indispensable d’attendre le stade de la réflexion, donc du sujet, pour être et, d’une certaine manière, penser qu’on est. A notre avis, le fait d’avoir la conviction que les autistes ne savent pas qu’ils sont, est une fausse piste. Qu’on nous permette (en nous prêtant attention) de replacer le dispositif de subjectivation et, pour ce faire, l’élaboration du processus théâtral.