Au fond, quelle importance, par rapport aux autistes, que le dispositif de subjectivité vienne « après » et « à côté » du processus de Re-présentation ? Quelle importance pratique ? Ce dispositif peut toujours s’installer « à côté » et « après » un prétendu processus, qui d’ailleurs n’en est pas un, de Re-présentation, l’essentiel est qu’on en ait besoin et que, malheureusement, dans le cas des autistes, il soit venu à manquer. Une telle question et une telle remarque semblent tellement concrètes que nous n’oserions plus parler de Re-présentation et autre « baliverne ». Eh bien nous aurions torts, car presque plus personne ne se risque à parler de ce qui fonde le Théâtre ni, non plus, du peu que cela nous apporterait pour affronter les questions sur le monde et la matière. Pour ce qui concerne l’affrontement au monde, l’engagement politique, dans la pratique théâtrale, semble y pourvoir largement et l’on est en droit de se demander pourquoi nous posons encore ce problème. Franchement, nous avons autant de légitimité à nous étonner qu’on puisse s’étonner de notre souci ! Comment peut-on ne pas sentir la distinction entre le discours sur et autour du politique et faire de la politique ? On pourra toujours nous rappeler que discourir au sujet du politique, c’est, au théâtre, faire de la politique, cela ne nous empêchera pas de continuer à nous étonner de cette posture selon laquelle, au théâtre, la politique, relèverait exclusivement du bien-disant significatif. Remarquez, en pensant ce genre de choses, on n’a pas le sentiment de trahir le théâtre dans la mesure où l’on est persuadé que faire du théâtre, c’est bien dire – quand bien même ne dirait-on rien avec la bouche et tout avec des gestes. Encore une belle confusion, celle qui consiste à prendre la parole pour du dire.
Pourquoi perdre son temps avec la Re-présentation quand il est prioritaire de palier la faiblesse de la subjectivité ? Nous nous permettrons de nous demander si, justement, on n’aurait pas perdu un certain temps en refusant de questionner les évidences, en refusant de prendre en compte, en partie, un point de vue partant du Théâtre. Il est vrai que dans le milieu théâtral lui-même, on n’apprécie pas beaucoup ce genre de points de vue : aux yeux des gens de théâtre, celui-ci serait un spectacle comme un autre. Encore plus, il gagnerait à devenir comme un autre spectacle. « Un spectacle comme un autre », nous avons l’impression d’entendre le même type de jugement que celui qu’on porte sur le dispositif de subjectivité qui serait un dispositif de représentation comme un autre. Jugement à l’endroit du Théâtre et jugement vis à vis de l’autisme : un même déni.
En faisant l’impasse sur le processus de Re-présentation et sa place temporelle ainsi que spatiale, on évite de s’interroger sur l’influence qu’il exerce et sur les réactions qu’il suscite par rapport au dispositif de subjectivité qui, à chaque instant et partout, lui succède et voisine avec lui. D’ailleurs, en ne s’interrogeant pas sur le processus de Re-présentation, on ne s’interroge pas sur la mise en place du dispositif de subjectivité, car une véritable interrogation ne se suffit pas de se pencher sur son objet telle qu’on en perçoit l’existence, laquelle n’est jamais une apparition miraculeuse, mais de se soucier aussi de son contexte et de tous les croisements dans lesquels cette existence se trouve intriquée. Il est désolant de constater que même les esprits qui se réfèrent aux pensées les plus révolutionnaires du XIXéme et du XXéme siècle, ne manquent pas d’appuyer le reste de leur intellect sur des évidences bien conventionnelles. Pourtant, ces pensées révolutionnaires, auxquelles ils se réfèrent, auraient du bousculer leur univers mental. Au contraire, ce dernier bloque la fenêtre en train de s’ouvrir. Finalement, ils sont « révolutionnaires » à bon compte. Les autistes et le théâtre, entre autre, en feront les frais.