Comment le Théâtre contribuerait à un meilleur questionnement de certains aspects de l’Autisme 12

Posted by on Mai 16, 2014 in Blog

Notre remarque sur la confusion qui prend la parole pour du dire exige une clarification. Telle que nous l’avons présentée elle reste ambigüe pour certains. Nous constations que (pour beaucoup)  » discourir au sujet du politique, c’est, au théâtre, faire de la politique », nous nous étonnions qu’au théâtre « la politique, relèverait exclusivement du bien-disant significatif » mais nous savions que celui qui tient ce genre de propos « est persuadé que faire du théâtre, c’est bien dire – quand bien même ne dirait-on rien avec la bouche et tout avec des gestes ». Nous sommes ambigus lorsque, moquant la confusion qui prend la parole pour du dire, nous donnons à accroire, à certains, qu’à nos yeux, l’art du geste pouvait servir, lui aussi, le dire, mais que la parole, quant à elle, était réservée à l’oralité, qu’elle était réservée à la bonne bouche. En l’occurrence, notre distinction ne porte pas sur la différence entre la bouche et le geste mais sur la différence entre le dire et la parole. Nous reconnaissons, bien volontiers, que cette différence n’est pas simple à établir dans la mesure où l’on oublie que « parole » vient du grec « parabole » et qu’on retient avant tout qu’il s’agit du langage  qui articule des signes audibles. Le terme de « langage » renvoie à « langue », laquelle est d’abord l’organe de la bouche. Avec le terme « audible », ils confortent la conviction qu’on a à faire au domaine vocal. Nous aurons beau rappeler qu’il ne faut pas mélanger des séries articulées avec des cris et des gémissements, on sera tenté de nous rétorquer que tout ça sort de la bouche tandis que les gestes sont d’une autre nature ! Ce faisant, on laissera de côté le problème de la signification qui, pour se transmettre, utilise aussi bien la voix que le geste. Pour notre part, nous laisserons ici le problème du rapport entre la transmission et la signification, laquelle, peut- être, ne signifie que d’être transmise, qui, ainsi, n’existerait que dans la transmission, mais il ne s’agit pas, pour l’instant, de notre souci.

La confusion que nous moquions était celle de la parole et du dire, le manque de distinction entre la faculté de dire (la parole) et la signification du dire (le dire).  Certes, la faculté de dire s’incarne dans des moyens très différents selon les espèces, les conformations tant organiques que psychologiques, les civilisations, les cultures, les sociétés et les situations, mais elle est toujours une faculté et il nous faut dénoncer la propension des groupes humains à vouloir la dénier à tout autre. Evidemment, cette irrésistible tendance à vouloir dénier la parole à tout autre est confortée par le dire, c’est à dire par la signification. Les significations censées s’adresser à tout le monde sont, en réalité, destinées à un nombre restreint d’interlocuteurs. Il y a du secret dans la signification, ceci explique pourquoi on est persuadé qu’il y a du contenu à sa base alors que ce contenu n’est que ce qui se tient au tréfonds, c’est à dire ce que l’on a caché au fond du contenant. Ce que l’on planque au fond est tenu pour « contenu », signifié.  Et ce qu’on planque, on le chuchotera à ceux du groupe. On ne fait que leur esquisser et pareille esquisse est un signe, on leur fait signe. Les humains ont tellement  l’habitude de murmurer les signes qu’ils associent immédiatement le « dire » à l’expression orale, quand bien-même est-elle contenue – bonne raison pour en faire le parangon du contenu.

On a donc pris l’habitude de tenir la parole pour l’expression verbale et celle-ci pour la signification du dire. On en est arrivé à effacer la faculté qu’est la parole au seul bénéfice du signe, d’un dire dont on est persuadé qu’il renvoie à un pur contenu que nous sommes les seuls à partager et on en est aussi arrivé à n’entendre que de la voix dans ce « dire ». Ainsi, au théâtre, on entend  » bien dire » les beaux textes. Convenons-en, les autistes ne sont pas des virtuoses de ce bien dire, mais cela ne nous empêchera pas de prétendre que le fait qu’ils ne sachent pas « comme il faut bien dire », ne veut surtout pas dire qu’ils ne parlent pas.