Comment le Théâtre contribuerait à un meilleur questionnement de certains aspects de l’Autisme 20

Posted by on Juin 13, 2014 in Blog

Commençons par observer ce qu’observe le spectateur de la représentation théâtrale. Nous parlons d’un spectateur habitué à ce genre de spectacle ou, en tout cas, prévenu plus ou moins de ce à quoi il va assister. Il remarque que, dans la salle où il est présent, il se tient un plateau, ou un espace scénique, présent. Est éventuellement présent aussi, un rideau « rouge » et, lorsque celui-ci s’ouvre, des éléments de décor (qualifiés aujourd’hui de scènographiques). De même, seront également présents, dès le lever du rideau ou quelque temps après, des acteurs en chair et en os. Jusqu’ici, il n’y a pas de distinction entre cette représentation théâtrale et la représentation d’un autre style de spectacle. Encore qu’il faille noter la différence entre ces types de spectacles et ceux de la rue, de l’espace public, où les spectateurs sont d’abord des témoins, dans la mesure où ils n’avaient pas l’intention d’assister à un spectacle particulier. Dans la mesure où ils ne faisaient pas « profession d’être spectateurs » (il est intéressant de se référer à certaines performances de certaines compagnies « d’arts de la rue » qui parviennent, aux moyen d’évènements inattendus, à transformer les passants indifférents en témoins, puis ces témoins en spectateurs).

Revenons aux spectacles dont le spectateur est, délibérément dès le départ, le spectateur. Que perçoit-il ce spectateur ? des acteurs ou des personnages ? La distinction est fondamentale, quand bien même le terme de personnage n’est plus vraiment à la mode et que subsumer l’existence de celui-ci soit tenu pour une position réactionnaire reflétant l’état d’aliénation dans laquelle se trouve la personne qui croit à pareilles billevesées. Fondamentale, la distinction ne porte pas seulement sur la perception du spectateur mais aussi, si ce n’est surtout, sur la démarche empruntée par l’interprète. Précision importante parce que beaucoup de démarches d’interprétation « dramatique » n’affichent aucune défiance à l’encontre du personnage mais le réduisent à n’être plus qu’un effet de signification : masques, caricatures, objets à distancier etc…Il y a les spectacles qui font fi carrément du personnage, ceux, malins, qui l’utilisent comme une citation et ceux qui s’efforcent de le faire vivre. Ces derniers, ce sont les spectacles de théâtre – au sens vrai du terme.

Avec la distinction entre les acteurs et les personnages, il en va d’une différence plus profonde dont nous n’avons pas encore fait état : la différence entre le « présent », les « présents » et la « Présence ». Le spectateur qui perçoit le présent du plateau, les présents scènographiques et les présents des interprètes en chair et en os, peut aussi percevoir les présents des personnages qui ne sont pas exactement des présents mais plutôt de la Présence. Il est vrai qu’on a toujours parlé de la présence de certaines actrices et certains acteurs qui, d’ailleurs en « possèdent » beaucoup plus que leurs camarades auxquels elle semble manquer, mais, en parlant de leur présence, on ne s’est pas rendu compte, qu’en réalité, on faisait allusion à celle du personnage qui les « habitait ». On nous opposera que, même en dehors de la scène, même lorsqu’ils ne jouent pas, ces actrices et ces acteurs jouissent d’une présence remarquable. Nous préciseront que, sur la scène, ils n’étaient pas automatiquement habités par un des personnages signifiés dans la pièce et, que dans le civil, de toutes façons, il sont habités par un personnage curieusement indécidable qui serait « eux-mêmes ». Cette habitation est la marque de la Présence laquelle outrepasse les présents de chaque lieu et chaque instant.

La principale différence entre les présents et la Présence est ressentie, par le spectateur, de la façon suivante : quand un élément du décor ou un acteur sortent de scène, ils ne sont plus présents (même s’ils restent présents dans son souvenir). En revanche, lorsqu’un personnage quitte la scène et n’y est plus présent, sa Présence existe toujours. Il est important de comprendre que le fait d’être absent ou le fait d’être présent, qui pourtant se contredisent, font tous deux partie de la Présence. Certes, la Présence existe hors de la scène du théâtre, mais c’est grâce au théâtre que le spectateur en ressent l’existence. De même qu’elle existe en ce qui concerne toute chose et pas seulement les êtres humains, mais ce sont eux qui, en jouant le théâtre, la lui font ressentir – il est préférable d’établir une distinction entre les acteurs et les actants qui ne font qu’agir et signifier les personnages, lesquels sont alors réduits à des marionnettes et des symboles. Le fossé entre la perception des présents et la perception de la Présence creuse une séparation entre les autistes et les humains prétendument intégrés.