Comment le Théâtre contribuerait à un meilleur questionnement de certains aspects de l’Autisme 22

Posted by on Juin 20, 2014 in Blog

Avant de poursuivre notre analyse des rapports entre le processus de Re-présentation et la subjectivité, nous nous attarderons sur la métaphore choisie pour la Re-présentation, la métaphore » des deux glaces face à face ». Maintes fois nous avons émis des réserves à l’encontre des métaphores, toutefois, il nous faut reconnaître que, sans l’emploi de métaphores, nous ne parlerions de rien. Et même plus, selon la logique du Théâtre, sans métaphores le monde et sa matière n’existeraient pas. Selon cette logique, le problème est qu’il n’existe aucune métaphore fondamentale – n’en déplaise à chaque culture et chaque société – et, plus grave encore : aucune métaphore ne renvoie, en deçà, à quoi que ce soit, sinon à un processus qui n’en n’est pas un, celui de la Re-présentation. Les métaphores sont des représentations, le monde et sa matière perceptibles sont des représentations. Perceptibles, c’est à dire vivables, vivables, c’est à dire où l’on peut être, où l’on peut bénéficier de la Présence, ceci ne se restreignant pas à l’espèce humaine, aux animaux et aux végétaux.

Dans le cas précis de l’autisme, nous estimons que la métaphore « des deux glaces face à face », afin d’évoquer la Re-présentation, est intéressante dans la mesure où elle se rapproche de ce que peuvent percevoir les autistes. Attention, lorsque nous écrivons cela nous ne disons pas du tout que les autistes verraient deux glaces qui se font face ! Au départ, les autistes ne partagent certainement pas nos métaphores, en revanche, l’image « des deux glaces face à face » nous aide, nous, à transmettre plus ou moins ce que les autistes, sans le conceptualiser ainsi qu’on l’entend, ressentiraient du monde. Quand on se trouve entre des miroirs qui se font face, on est certes emprisonné dans une espèce de cage, mais on a l’impression que l’environnement est infini, ceci pour la simple raison que visuellement il se répète infiniment. Prisonniers, peut-être, mais au milieu du monde entier. Et plus encore, au milieu et partout dans le monde entier puisque l’image de « soi-même », s’y répète aussi à l’infini. Cette situation duelle pousse l’autiste à ressentir l’environnement qu’il perçoit comme universel et autosuffisant. Un cocon qui se suffit à lui-même et qu’on ne doit pas attaquer, même si ces prétendues attaques sont des tentatives, de la part des proches, pour nourrir, soigner et communiquer –  activités solidaires et aimantes qui risquent fort d’être tenues comme des agressions. L’univers de l’autiste profond est d’autant plus mortifère qu’il est « autosuffisant » ; parmi les proches, la contradiction que l’on perçoit est insoutenable : le moindre mouvement en faveur de l’autiste semble vécu par celui-ci comme sa destruction et celle de son univers alors qu’il a pour objectif de lui permettre de survivre. Le comportement de certains autistes est comparable à celui de ces personnes qui, en train de se noyer (bien qu’elles n’aient ni voulu ni procédé à leur suicide), se défendent énergiquement contre leur sauveteur et vont jusqu’à le frapper (il est vrai que, pour être précis dans cet exemple, beaucoup de ceux qui sont en train de couler s’accrochent, tout en l’agressant, à celui qui s’efforce de les sauver, ce qui est le cas de nombre d’autistes qui sont coupés-accrochés à leurs proches).

La métaphore des deux miroirs a le mérite de suggérer combien les autistes entretiendraient un rapport beaucoup plus « resserré » avec le processus de Représentation que la plupart des gens, lesquels sont plutôt en phase avec la société de leurs semblables. En acceptant d’être quelque peu caricaturaux, nous dirons qu’il y a d’un côté une majorité d’individus tournés vers « l’extérieur (ce qui n’empêche nullement certains de pratiquer la méditation, de se taire et de beaucoup réfléchir), et de l’autre une minorité (dont font partie les autistes) tournée vers l’intérieur. Les autistes seraient donc plus en phase avec la Re-présentation quitte à ce que cette proximité déforme la réalité telle qu’il est convenu de la percevoir. Pareille (et relative) conclusion semblera invraisemblable tant on assimile le théâtre au théâtral, au surjeu, à l’exhibitionnisme et, ce faisant, qu’on ne veut pas voir qu’il s’attache, avant tout, au processus de Re-présentation. Les autistes se retrouveraient  ainsi dans une position paradoxale : au plus loin du « théâtre » en raison de leur proximité avec la Re-présentation.