Comment le Théâtre contribuerait à un meilleur questionnement de certains aspects de l’Autisme 23

Posted by on Juin 24, 2014 in Blog

Nous n’abandonnons pas notre métaphore des deux miroirs qui se font face en reprenant l’analyse des rapports entre la Re-présentation et la subjectivité. Nous disions que s’il était nécessaire, afin d’en percevoir les reflets, que quelqu’un se tienne entre les deux miroirs, il n’était pas nécessaire  que ce quelqu’un en conceptualise l’effet pour le percevoir. Nous sommes conscients que ce genre de propos risquent de paraître confus et contradictoires. Pourtant, il est besoin de s’y arrêter pour les éclaircir et qu’ils ne se retrouvent pas hypothéqués par des évidences. Siècles après siècles, il est devenu évident, pour l’esprit humain, que pour percevoir quoi que ce soit, encore faut-il le conceptualiser et, qu’après avoir affirmé la nécessité que quelqu’un se tienne entre les deux miroirs afin d’en percevoir les reflets, il fut contradictoire de prétendre qu’il « n’était pas nécessaire que ce quelqu’un en conceptualise  l’effet pour le percevoir ». On a une vision ( nous ne disons pas conception !) de la « perception » toute faite (pour notre part, nous avons beaucoup appris en lisant « Le bruit du sensible » de jocelyn Benoist*). Il est vrai que, selon notre langue, la perception demande toujours un « objet » et que, si celui-ci n’est pas concrètement déterminé, il est besoin de le conceptualiser. Plus, quand bien même serait-il positivement formé, il « passera » par le cerveau qui le conceptualisera et qui permettra, ainsi, de le percevoir. De toutes façons, ce qui ne serait pas conceptualisé ne serait pas perceptible. Avec une telle « évidence » on ne se trouve pas loin du solipsisme pour lequel la seule réalité certaine est le « moi ». On est proche du solipsisme car il suffirait que la détermination extérieure du monde soit remise en cause pour que tout ne soit plus que concepts ! On parviendrait ainsi à renier le « sensible ».

Nous arrivons là, à un point ambigu de notre analyse : figurez-vous que, sans le déclarer explicitement, la tendance au solipsisme est ce qu’on craint de la part des autistes. On trouve qu’ils sont confinés dans leur tête, même si leur corps est en train de se débattre, on trouve qu’enfermés dans leur tête, pour eux le monde se réduit à celle-ci. Nous arrivons à un point ambigu, parce qu’au moment où nous nous apprêtions à remettre en doute l’évidence selon laquelle la perception ne saurait s’accomplir sans l’intervention de la conceptualisation qui lui fournirait à chaque fois un objet à percevoir – ceci au risque du solipsisme -, nous nous apercevons que la réduction conceptualisante sur fond de solipsisme était un des tropismes de l’autisme.

Face à ce genre de situation, on est tenté de choisir une voie au détriment de l’autre : soit de refuser de prendre en compte ce que beaucoup des proches des autistes ressentent, le renfermement dans un monde abstrait du monde réel ; soit de faire l’impasse sur la remise en question des évidences affirmées quant au rapport obligatoire entre la perception et un objet conceptuel. Ou encore, de monter une synthèse, de négocier une soi-disant voie moyenne. Non, il n’est pas question de ménager la chèvre et le choux mais, plutôt, d’assumer et  le choux et la chèvre ! Ce n’est pas parce que nous avons émis l’hypothèse que les autistes étaient plus proches de la Re-présentation qu’on devrait en conclure qu’ils sont de plein pied avec la sensibilité. La Re-présentation n’est pas plus sensible que conceptuelle, elle n’est ni l’une ni l’autre. A partir de ce processus (qui n’en n’est pas un tant il se confond avec ce à quoi il accorde de la Présence), les divers regroupements de matière empruntent diverses voies – même à l’intérieur d’une même espèce – et l’on peut toujours ressentir chacune de ces voies comme plus sensible ou plus formelle que les autres. En réalité, cela dépendra du genre de réponse apportée au manque de la Re-présentation, cela dépendra du type de subjectivité impliqué.

*cf. »Le bruit du sensible » de Jocelyn Benoist. Particulièrement le chapitre II « une soi-disant intentionnalité ». Les éditions du Cerf 2013