Comment le Théâtre contribuerait à un meilleur questionnement de certains aspects de L’Autisme 25

Posted by on Juil 1, 2014 in Blog

Qu’est-ce qu’un présent (absence de majuscule) ? Un présent est un état du sujet, étant bien entendu qu’il ne s’agit pas exclusivement d’un sujet conscient. Un présent additionne trois retenues ; afin de figurer les deux premières, prenons l’exemple d’une pierre et d’un lance-pierre : quand nous tirons l’élastique, avec la pierre, jusqu’à notre poitrine, la distance entre le Y des deux branches et notre poitrine représente ce qui, vis à vis de la pierre, se retient de son avenir. Quand, après que nous ayons lâché l’élastique, la pierre franchit le Y, la distance entre notre poitrine et ce Y représente ce qui, vis à vis de la pierre, se retient de son passé. Entre son avenir et son passé, la pierre « se tient » en un point nul qu’on ne parvient pas à déterminer exactement (l’image du lance-pierre ne s’ajuste à aucune exactitude pour la simple raison qu’à l’instar de la pierre, ni le temps, ni non plus l’espace, ne sont fixés de toute éternité). La nullité de ce point correspond à l’indétermination d’un présent, laquelle ne doit pas être entendue comme une non-existence incontournable.

A ces deux retenues, il faut en ajouter une troisième, celle effectuée par les autres présents qui entourent ce présent – encore qu’il ne faille pas exempter ce dernier de cette effectuation parce qu’après tout, il participe de l’ensemble des présents (lequel retient chacun des présents qui paraissent). L’infime distance qui sépare ce présent de l’ensemble des autres présents, représente ce qui se retient de « sa Présence », de la Présence. Sans la retenue de Présence, ce présent se contenterait de rester un point nul et ne serait jamais présent – ou absent – aux autres présents, donc il ne serait pas. L’infime distance (incalculable) qui sépare un présent de l’ensemble des autres, est celle qui sépare les autres de l’Autre qui aura beau se prévaloir d’être lui-même (s’il devient conscient), ne sera que parce qu’il est Autre. Le théâtre a su formaliser cette infime distance, aux yeux des hommes, en séparant le spectateur des acteurs (ou, comme on voudra, l’acteur des spectateurs).

En inventant, spontanément dans l’esprit des hommes, la notion de spectacle (laquelle immédiatement s’appliqua au spectacle du monde), le théâtre n’accomplit qu’une formalisation qui, hélas, fut aussitôt débordée ou recouverte par ce qui n’était et qui n’est que spectacle. Un spectacle est ce qui se « montre », soi-disant dans un état de présent, sous le seul prétexte que « coexisteraient  » le présent de ceux qui se donnent à voir et à entendre et le présent des spectateurs, mais s’en tenir à cela, c’est se suffire de la juxtaposition de la retenue d’un certain avenir et d’un certain passé de ceux qui sont sur scène et de la retenue d’un certain avenir et d’un certain passé de ceux qui sont dans la salle. On nous ripostera que cette seule juxtaposition se trouve bien dans un état présent ! Elle s’y trouve  pour la bonne raison qu’à l’instar de tout ce qui est, ces présents juxtaposés rejoignent la Présence. Ce n’est nullement une préoccupation du spectacle tandis  que le théâtre s’engage délibérément à prendre conscience ou, plus simplement, à rendre sensible le rôle de la Présence. Qu’on le veuille ou non, la place du spectateur de théâtre n’est pas identique à celle du spectateur de spectacle. La place de ce dernier n’est qu’une place juxtaposée. Certes, ce spectateur-du-spectacle est bien en vie comme les interprètes dont il est le témoin, mais ce n’est pas en raison de la juxtaposition de leurs présents que les uns et les autre sont en vie, c’est en raison de la Présence dont, il faut bien le dire, le spectacle n’a que faire. Il ne suffit pas d’appeler « spectacle vivant », le spectacle où les présents sont juxtaposés, pour toucher à la vie. Pour ce faire, il faudrait toucher et solliciter la Présence.

Au 19ème siècle, André Antoine, le premier metteur en scène en France – du moins celui qui, inspiré par les artistes Allemands, y  introduisit la notion consciente de mise en scène – inventa une expression géniale, celle de « quatrième mur ». Ce quatrième mur est ce mur qui devrait se dresser parallèlement à la rampe et qui, absent, permet au spectateur de théâtre de voir et d’entendre les personnages joués par les acteurs, lesquels devraient jouer les situations avant que de jouer pour être vus et entendus ( qualités d’expression bien sûr indispensables pour la communication mais non essentielles en regard du principe). La force exceptionnelle du quatrième mur est que son absence le rend présent, il est une parfaite représentation du rôle de la Présence qui comprend aussi bien les présents que les absences. Le spectateur du spectacle l’a toujours oublié, alors qu’il reste sensible au spectateur de théâtre. Au commencement de leur vie, le quatrième mur est un péril pour les autistes : ils craignent les spectateurs, tandis que ceux-ci ont souvent tendance à l’oublier et que certains ont quelque difficulté à reconnaitre la Présence de l’autiste et n’en constatent que les présents insupportables. Aux yeux de ces gens hostiles le quatrième mur s’est reconstruit brique à brique, si ce n’est avec du béton.