Comment le Théâtre contribuerait à un meilleur questionnement de certains aspects de l’autisme 28

Posted by on Juil 11, 2014 in Blog

Que nous évoquions les autistes tournés vers leurs proches ou ceux qui restent repliés sur eux-mêmes, nous ne cessons de rappeler une crainte qu’ils ressentiraient à l’encontre de l’extérieur et le sentiment d’agression qu’ils éprouveraient à chacune de nos interventions. C’est le cas de le dire, la « forteresse » se défendrait des envahisseurs, mais cette vision est par trop réductrice ; tous ceux qui, dans les institutions, vivent avec les autistes sont frappés et souvent débordés par la violence que chacun de ceux-ci exerce à l’encontre de sa propre personne – son propre corps. Il y a guerre civile, la forteresse se défend aussi brutalement contre elle-même. Il y a souffrance et celle-ci n’est pas seulement la conséquence « d’attaques » extérieures mais vient tout autant  de l’intérieur, non sous la forme exclusive d’un ennemi qui, après s’être introduit, attaque depuis l’intérieur, ni non plus sous celle d’un seul rassemblement fomenté à l’intérieur mais plutôt comme une guerre interne généralisée : la forteresse est d’autant moins vide qu’elle est pleine de luttes et qu’elle se bat contre elle-même. A l’instar des maniaco-dépressifs qui, durant leurs épisodes dépressifs, n’hésitent pas à se brûler les membres  avec des cigarettes – tant la douleur de ces brûlures sera toujours moindre que celle qu’ils éprouvent en eux et qu’elle sera susceptible de la compenser -, les autistes se frapperont sans s’arrêter la tête contre un mur et s’arracheront leur propre chevelure. Douleur terrifiante venue de l’intérieur de soi, douleur compensatrice infligée à soi-même et douleur insupportable pour celui qui ne parvient ni à la partager ni à la soulager. Douleur compensatrice peut-être, mais jamais réparatrice. Quel effroi !

Pareil effroi ne se gomme pas avec de bonnes paroles, il nous évoque l’effroi des premiers participants, au fond de la Grèce antique, aux choeurs dithyrambiques, lesquels, au milieu des champs, n’étaient pas encore des « choeurs » mais seulement des coeurs collectifs d’effroi – noter, qu’à l’inverse, il n’est pas question qu’au cours de ses interminables crises, l’autiste se fonde dans un collectif. Au fond de ces « coeurs » antiques, les hommes – surtout de très jeunes femmes avant qu’on y mette le holà – étaient confrontés à l’innommable qui deviendra le « tragique » civilisé par une Cité plus ou moins misogyne et, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, pas tellement à l’aise avec le théâtre qu’elle s’efforcera de transformer, si l’on écoute les professeurs de la IIIéme République, en leçon d’instruction civique (ce qui est bien sûr caricatural, les cités ne cherchant, avant tout, qu’à établir un moyen terme entre la violence des rites animistes et une discipline citoyenne).

Au cours de ces « coeurs » dithyrambiques, qui n’étaient pas encore des choeurs avec sommation de chanter et de danser en mesure, les participant(e)s pressentaient, entr’apercevaient, entrevoyaient des personnages qui deviendront les étiquettes que les tragédies classiques colleront sur leurs textes. Ces « personnages » sont homologues à ceux qui tourmentent les autistes avec lesquels on ne communique pas. Et si l’on se récrie devant une telle assertion que le terme de personnage n’a pas de sens pour quelqu’un qui ne pense pas vraiment, nous répliquerons que ce n’est pas la « pensée » qui précède les personnages mais l’exact inverse. Si l’on continue de se récrier au motif que nos propos font appel à un spiritualisme douteux qui se référerait, encore de nos jours (!), à la possession, nous n’hésiterons pas à dire que bien qu’il ne soit pas question de soigner les autistes avec des gri- gris ou des tables tournantes, ce serait une grave erreur, sous le prétextes qu’on ne croit plus ni à dieux ni à diables, de jeter aux orties les phénomènes de possession qui ont, tout de même, préludé à des découvertes comme celles de Freud. Enfin, si l’on se récrie toujours que les autistes qui, »n’étant pas restés au fond du trou », sont parvenus, en dépit de leurs handicaps, à témoigner – tels ceux que l’on dit souffrir du syndrome d’Asperger -, n’ont jamais fait état de ce genre de choses, nous répondrons que, justement, la difficulté de leur témoignage démontre que leurs subjectivités ne cristallisèrent pas les mêmes personnages que nôtre subjectivité.