Nous citons le « syndrome d’Asperger », cela demande éclaircissement : en 1943, le pédopsychiatre autrichien, Hans Aperger, découvrit chez certains de ses jeunes patients un syndrome dont il était impossible de faire état puisqu’à l’époque, en Autriche, les « malades mentaux » étaient voués à l’extermination. Il faudra attendre 1981 pour qu’on prenne en compte sérieusement le « syndrome d’Asperger » selon lequel le patient souffre de grandes difficultés de communication et rencontre d’énormes difficultés d’insertion sociale bien qu’il bénéficiât d’un minimum de facultés cognitives. Nous abordons là un problème sensible dans la mesure où la plupart de ceux qui se penchent sur les patients souffrant du syndrome d’Asperger, prétendent que celui-ci est exclusivement le fait de troubles neurologiques et n’a rien à voir avec quelque cause d’ordre psychologique. Vous vous en doutez, nous n’arguerons d’aucune compétence pour trancher en ces matières, toutefois nous noterons combien les victimes du syndrome d’Asperger font penser à ce qu’on appelle les autistes, ce qui n’a pas manqué d’interpeller les spécialistes qui, aussitôt, les ont inscrit dans le spectre de l’autisme comme faisant partie de « l’extrémité haute du continuum autistique ». On est tenté de dire que les patients relevant du syndrome d’Asperger sont des autistes qui, comparativement aux autres, seraient plus ou moins « tirés d’affaire ». Optimisme, carrément « à côté de la plaque », puisque leur état pathologique n’est pas la résultante d’une évolution positive qui prendrait son départ dans l’autisme profond. Toutefois, en dépit de leurs capacités, ils donnent l’impression de se trouver complètement démunis, bien, qu’objectivement, on ne peut que leur prêter tellement plus de compétences qu’on en prête aux autistes profonds. On va même, parfois, jusqu’à parler de « génie » dans un domaine particulier tel que la musique ou le calcul.
Le témoignage des « Asperger », tant celui de leur comportement que de leurs quelques paroles, est délicat à traiter dans une perspective générale de l’autisme. Il sont, à la fois, ceux avec lesquels on croit communiquer et ceux avec lesquels on ne communique pas. A partir du moment où nous nous appuyons sur le jugement des milieux spécialisés qui les placent dans l’ensemble des autistes, il est intéressant de constater que nous recroisons beaucoup de questions que nous avons subodorées, notamment en ce qui concerne le « sujet ». Certes, on a l’impression de communiquer avec eux et qu’ils communiquent avec leur interlocuteur, mais on s’aperçoit très vite que, de part et d’autre, on ne se comprend pas vraiment. Il faut communiquer pour se rendre compte qu’on ne communique pas – ce qui permet de dire que le minimum de communication, aussi ténu et fugace soit-il et quand bien apporterait-il la preuve de l’incompréhension, est une preuve de capacité de communication entre les êtres.
Les « Asperger » ne goûtent pas l’humour, du moins ce qu’on appelle, suivant des critères sociétaux, l’humour dont le fameux « sens » varie selon les cultures. On va même jusqu’à affirmer qu’ils n’apprécient pas l’humour parce que, tout simplement, ils ne le comprennent pas tant ils prennent ce qu’on leur dit au sens littéral. Ceci n’est pas, comme on conclue trop vite, la preuve d’un manque d’esprit, mais la marque d’un tout autre esprit. Ce n’est pas un manque d’intelligence qui constituerait un obstacle, mais une autre forme d’intelligence. Le problème de l’intelligence est que, dans l’usage, elle soit toujours une « intelligence avec quelqu’un d’autre « , finalement une complicité entre individus partageant un même code et plus, en l’occurrence, une même structuration de code. L’obstacle de la « métaphore » est mille fois plus important que celui d’une prétendue bêtise. La forme de signification métaphorique que tous les individus « corrects » partagent plus ou moins sur cette terre, est une forme particulière qui n’a rien d’universel (au sens fort du terme). D’abord, en raison de son découpage qui, contrairement à ce qu’on se plait à croire, est assez grossier ( sauf que cette grossièreté a permis aux différentes langues humaines de se traduire les unes les autres). Pour une « intelligence » plus labile et plus fluide, les caillots de significations qu’on manipule couramment ne sont pas faciles à intégrer et lorsque cette « intelligence » y est parvenue, il ne lui est pas aisé de sentir que tel ou tel caillot de sens ne doit pas être pris pour lui-même puisqu’il renvoie à un autre. L’univers de la signification n’est pas identique, et nous devons savoir qu’un univers de signification s’enlève sur une certaine manière de considérer le et les « sujets ». Paradoxalement, les autistes sont peut-être plus intégrés à un monde de signification ! Paradoxe qui pourrait expliquer leur stupéfaction devant la théâtralisation du comportement des individus « en bonne santé » ; à la limite, ils peuvent se dire « qu’on n’a pas besoin de ça » tant ils n’ont pas encore pris en compte le poids du gestus social.