Nous avons suggéré l’existence de points communs entre le processus de refoulement et le processus de Re-présentation : certes, nos connaissances dans le domaine de la psychanalyse sont par trop rudimentaires pour que nous prétendions expliquer ce qu’est le « refoulement » au sens analytique – les psychanalystes s’en sont déjà et continuent de s’en charger – ni non plus que nous nous efforcions de grimer l’un avec des traits caricaturés chez l’autre, toutefois nous souhaitons évoquer l’esprit commun qui, paradoxalement, les rapproche. Pourquoi paradoxalement ? Si l’on s’en tient aux habitudes tendancielles du langage, on est tenté de penser que le « refoulement » et la « Re-présentation » désignent deux démarches contraires : une chose qui se re-présente à une autre se rapprocherait d’elle, tandis qu’une chose qui en refoule une autre s’en éloignerait. Ceci est trop vite entendu. Qui nous dit qu’une chose, en se rapprochant d’une autre, ne s’en distingue pas ? Et qui nous dit qu’une chose qui en refoule une autre soit débarrassée de celle-ci ? Si la Re-présentation et le refoulement sont constants, il est besoin qu’une chose s’écarte d’une autre pour s’y représenter et cela implique qu’une chose refoulée revienne auprès de celle qui la refoule. Il y aurait comme du refoulement dans la Re-présentation et de la Re-présentation dans le refoulement, sauf que, plus simplement, ils ne sont pas contraires l’un à l’autre. Leur première différence serait due aux points de vue temporels des milieux dont ils sont issus. Le refoulement serait investi par un point de vue réactif tandis que la Re-présentation bénéficierait d’un point de vue tenté de la prendre pour une création. En fait, il n’est pas interdit de penser que le refoulement puisse être premier comme il est bon de rappeler l’origine secondaire de la Re-présentation.
Nous ne sommes pas sans remarquer le haussement d’épaules des esprits rationnels, mais nous avons envie de leur dire qu’ils sont plus traditionnels que rationnels : ils ne parviennent pas à se libérer du poids constitué par la préséance du sens et de la signification (celle-ci non en tant que communication mais comme objet à communiquer). Pour la tradition, on ne peut réagir qu’à une signification et l’on n’a pas à prétendre créer celle-ci avec un doublon. Pourtant, combien de fois nous voyons des êtres « exploser » sans motif (certes apparent) et combien de fois nous sommes surpris par une idée proférée par quelqu’un qui n’y pensait même pas (certes consciemment). Le sens et la signification (encore une fois comme objet à communiquer) ne précèdent pas automatiquement toute chose, ce type d’ordre n’est que le reflet des reconstructions justificatives, mais il ne faudrait pas, bien sûr, affirmer que ce sens ne peut venir qu’après, dans le fond, on ne sait pas exactement quand il vient et l’on confond l’instant de sa venue avec le moment de la perception qu’on en a.
Il est difficile d’admettre que le refoulement ne fasse pas plus disparaitre les choses que la Re-présentation ne les précède, bien que l’un prétende les rejeter et l’autre les prévoir (plus ou moins). Il faut vivre avec, mais pour mieux vivre, aider les autres à mieux vivre (ce qu’à titre privé, on n’est pas obligé de faire, d’autant plus que les victimes ne goûtent pas systématiquement le bonheur forcé, mais comment rester indifférent à la souffrance des autistes profonds) il est nécessaire de ne pas s’illusionner sur l’efficacité du refoulement et croire au miracle de la Re-présentation, ce qui, bien au contraire, ne doit surtout pas conduire à les nier ou à les sous-estimer.
Nous avons peut-être trouvé des points communs entre le refoulement et la Re-présentation, il n’en reste pas moins que les deux processus ne semblent pas intervenir au même stade. Ne nous laissons pas influencer par les apparences, quand bien même tendraient-elles à une exactitude scientifique. D’abord, le processus de Re-présentation n’intervient pas à un seul moment et à un seul endroit, ensuite le rapprochement effectué par notre observation et notre réflexion nous pousse à dévoluer au refoulement une place beaucoup plus « originaire » (disons plus basique) que l’opinion ne lui accorde spontanément. La problématique des autistes reposerait, en premier lieu, sur un dispositif de refoulement qui ne soit pas du tout en adéquation avec la forme de « normalité » que l’on rencontre chez la majorité des êtres humains. L’hypothèse d’une faiblesse dans la mise en place du dispositif de subjectivité en serait une des conséquences.