Sitôt rédigée la note précédente nous nous levons. Aussitôt un scrupule nous vrille la plante des pieds. Nous avons fait preuve d’un manque de courage en nous moquant de nous mêmes avec la réflexion qu' »évidemment, l’inconscient permet de prêter aux autres des sensations qu’ils n’ont pas éprouvées ». Cette réflexion semble frappée au coin du bon sens, toutefois elle prouve que nous n’osions pas assumer le constat qu' »au moment où Freud réinventa le terme de refoulement, il n’est pas impossible que l’implicite de ce que nous appellerons Re-présentation ne se soit glissé dans sa pensée « . La question n’est pas de savoir si Freud l’a volontairement ou inconsciemment pensé : conscience ou inconscient, avec le temps l’opinion efface la différence en présupposant que ce dernier est une intention masquée, tant il est plus aisé de croire aux démons que de supporter l’inconscience (beaucoup de discours favorables à l’euthanasie – souvent nécessaire en cas de souffrance irrémédiable – s’appuient sur « l’évidence » qu’une personne en état d’inconscience durable n’est plus qu’une personne morte). Non, la question n’est pas de savoir si Freud a volontairement ou inconsciemment pensé à ce que nous appellerons « Re-présentation » lorsqu’il réinventa le terme de « refoulement », l’important consiste à reconnaître que s’il n’avait pas réécrit le terme de « refoulement », nous aurions eu plus de mal à penser la notion de « Re-présentation », en tout cas nous n’aurions pas été en mesure d’envisager le rapport de l’un avec l’autre.
Dans notre société, il est plus facile de se moquer de soi-même que d’assumer ses convictions, l’humour vient au secours de la lâcheté. Nous noterons, en passant, qu’il s’agit là d’un handicap pour les autistes et particulièrement les « Asperger ». Bien que ces derniers parviennent à une forme de communication avec leurs entourages, ils manquent totalement d’humour et se trouvent stupéfaits et complètement désarmés face à certaines situations langagières que leurs concitoyens maîtrisent sans s’en rendre compte. Une fois de plus, nous rencontrons le problème de la signification que nous allons bientôt traiter. Disons déjà : pour les « Asperger », et encore plus pour les autistes profonds, les significations n’ont pas les mêmes significations que pour leurs concitoyens. Ce n’est pas une question de grille linguistique, les « Asperger » auraient tendance à pratiquer une langue littérale – quand bien même l’ont-ils bien élaborée. Il existe une grande différence entre l’usage de la signification entre les « Asperger » et les gens prétendument normaux (quel que soit le milieu culturel de ces derniers). Les « Asperger » s’accrochent à la signification en elle-même tandis que les personnes, soit-disant bien intégrées, usent de significations elliptiques et métissées. Il y a du « théâtre » dans la manière de parler courante, du moins du théâtre au sens de l’expressivité, donc d’une autre manière d’employer la signification que les « Asperger » qui, pour leur part, n’apprécient pas du tout cette théâtralisation.
Revenons au « refoulement », encore qu’il ait beaucoup à voir dans la différence entre les rapports entretenus par les gens dits « normaux » et ceux des « Asperger » avec la signification. Le rapprochement du processus de refoulement avec le processus de Re-présentation serait caricatural si nous cherchions, à tout prix, à le faire débuter « à la base ». Avec cet « à la base » nous n’entendions pas signifier une origine historique de la matière ; certes, la Re-présentation se tient au départ de toute forme de matière, mais elle s’y tient comme elle se tient à tout instant de l’existence de ces formes ainsi que tout au long de son « existence » globale (du moins ce que nous en percevons, donc ce que la matière en perçoit elle-même). Le refoulement est une notion qui s’inscrit dans un champ thérapeutique, lequel ne peut s’envisager qu’à partir du moment où existe une entité à « soigner » . Tant que n’est pas encore apparu historiquement le malade (et même le thérapeute), il est anachronique de parler de refoulement, on ne peut évoquer que la Re-présentation. Freud parle peut-être de « refoulement originaire », mais celui-ci n’est originaire que dans l’existence d’une quelconque ou d’une série d’entités. Le refoulement est, dans son domaine, une application conséquente du processus de Re-présentation qui est autant original que constant.