Comment le Théâtre contribuerait à un meilleur questionnement de certains aspects de l’Autisme 39

Posted by on Sep 26, 2014 in Blog

Le refoulement, au sens psychanalytique, est une question qui se pose à partir du moment où on a à faire à des êtres vivants (expression bien imprécise), plus particulièrement des êtres humains. Cette question revêt une grande importance dans le cas des autistes. Nombre de spécialistes émettent l’hypothèse que ceux que l’on appelle « autistes » feraient partie intégrante de l’ensemble des psychotiques. Nous ne sommes pas en mesure de participer à ce débat, en revanche notre réflexion sur la situation autistique, par rapport au théâtre de la matière (matérielle et immatérielle), nous pousse à partager l’hypothèse selon laquelle les autistes souffriraient d’une carence du dispositif de refoulement. Bien plus que le problème de la subjectivité, celui du refoulement serait fondamental chez les autistes ; ceci avec une différence d’importance : les autistes profonds souffriraient d’une défaillance ou d’un manque absolu de refoulement, tandis que les « Asperger » bénéficieraient d’un refoulement très restrictif que nous pourrions qualifier de filtre. A l’encontre des autistes profonds, un tel filtre conduirait les « Asperger » à se raccrocher à la « signification », ce qui, hélas, ne veut pas dire qu’ils soient capables de partager sans difficulté cette « signification » avec leurs concitoyens. Toutefois, il est bon de préciser que, pour notre part, nous sommes incompétents pour juger où se tient la différence entre l’autisme profond, l’autisme « moyen » et les « Asperger », sauf à nous suffire d’un regard superficiel quant aux différents comportements.

Nous venons d’avancer que le problème du refoulement était plus fondamental que celui de la subjectivité, néanmoins le sujet, ou plus exactement les sujets, se trouvent impliqués dès le départ. Chez les autistes profonds les sujets se trouvent impliqués, mais ce ne sont pas encore des sujets significatifs, au sens d’objets en grande partie conceptuels et élaborés. Evidemment, le terme « significatif » renvoie à des éléments non seulement intellectuels mais aussi sensibles et nous profitons du risque de confusion qu’il entraîne pour préciser qu’à ce moment, nous l’entendions, à la fois, comme qualifiant des objets et  plutôt de nature conceptuelle. Les sujets auxquels sont confrontés les autistes profonds ne sont pas encore significatifs en ce sens, mais cela ne les empêche pas de les percevoir et de se trouver terrifiés par eux. Il ne faut pas lier systématiquement la perception à la signification et rendre la première dépendante de la seconde. Nous savons très bien qu’il est difficile de ne pas le faire, d’autant plus qu’accorder une forme d’autonomie à la perception par rapport à la signification, sous-entend que la pensée (au sens large) s’entreprendrait dès la sensation. Hypothèse intolérable  pour un esprit occidental qui fait partir la psyché depuis une mentalisation située dans la perspective d’un esprit unique.

S’il ne faut pas croire à la dépendance systématique de la perception basique par rapport à la signification, il ne faut pas non plus conclure à la coupure irrémédiable entre elles. Nous évoquions une préséance de principe de la part de la perception basique, mais celle-ci est difficilement repérable dans la succession des processus au cours de l’existence d’un individu ; quel instant peut-on privilégier ? D’autant plus que, selon la Re-présentation qui anime chacun et le va-et-vient  incessant qu’elle implique, la signification ne manque pas de revenir sur le sensible au moyen d’objets qui rendent significatif ce qu’il ressent. De plus, la signification se nourrit de celui-ci et nous irons jusqu’à dire que, sublimation après sublimation, refoulement après refoulement, elle en est issue.

L’autiste perçoit de nombreux sujets mais ceux-ci ne sont pas encore, ou ne parviennent pas à devenir significatifs. Ces sujets informels sont d’autant plus terrifiants qu’ils n’acquièrent pas de signification au sens objectal. Attaqué de toute part, terrifié, l’autiste profond se bat contre des fantômes. Et encore, si ce n’étaient que des fantômes traditionnels ! Il a à faire à d’indicibles fantômes, qui, informels, ne portent pas le suaire de la coutume. Un contenu n’étant qu’une forme contenue par une autre, si l’on retire le suaire traditionnel, il n’y a plus rien, n’empêche qu’il y a quelque chose d’innommable, une espèce de suaire retourné (à supposer que cela soit possible à notre entendement). Mille sujets persécutent l’autiste profond et les choses concrètes que, pour les aider, on leur proposera, seront immédiatement assimilées à ce qui les persécute. Pour les « sauver », on sera contraint de leur imposer, au moyen de la force, si besoin est, et cela est insupportable, comme il est insupportable de devoir assommer le malheureux auquel on vient porter secours avant qu’il ne se noie. Nous avons toujours à l’esprit l’énorme malaise ressenti devant la petit fille que l’on forçait, au milieu de ses hurlements, à s’asseoir sur une chaise, meuble qu’elle aurait perçu, s’il avait été muni,à ses yeux, d’une signification, comme un instrument de torture mais que, de toute façon, elle était en mesure de percevoir et de ressentir comme ce que l’on associe à l’hostilité, l’effroi et la souffrance. Car, bien entendu, elle percevait ce pourquoi elle s’effrayait et ceci sans que cela ait déjà revêtu une forme significative. La pensée commence bien avant la signification.