Selon l’usage de la langue française, il n’existerait pas de différence sémantique entre le « phantasme » et le « fantasme », seulement une différence orthographique. Nos amis savent que nous n’entretenons aucune dévotion envers l’orthographe et pourtant… La plupart des scientifiques et des psychanalystes n’ont pas été les derniers à préférer le « fantasme » au « phantasme » et pourtant… Les mauvais coucheurs vont, devant notre réserve, se mettre à ricaner : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Eh bien, contrairement aux apparences calligraphiques, nous ne cherchons pas à faire « du genre » en nous glissant dans les habits trop grands de l’érudition et en nous accrochant à une complication désuète. Presque tout le monde sait que « phantasme » vient de la traduction latine du grec « phantasma » et il serait puéril de vouloir faire prendre une souris pour une montagne. Sauf, comme le montre la fable, que les rats et les souris démaillent les filets dans lesquels nous sommes pris et pratiquent trous et ouvertures dont nous avons grand besoin. Il ne s’agit pas de prétendre que l’orthographe « ph » recèlerait un sens plus profond que l’orthographe « f », mais simplement de profiter de l’existence d’une différence d’écriture pour imaginer une différence de nature. D’autant plus que, pour les grecs, « phantasma » se référait aussi bien aux visions surnaturelles qu’à la vision comme faculté organique. Il en est de même, en français, avec la « vision » qui indique un des cinq sens et peut aussi être employée pour évoquer des hallucinations. Toutefois, nous soupçonnons que « phantasma » mêlait plus l’imaginaire et l’organique que « vision » dont l’emploi les distingue précisément. Peut-être, commettons- nous une erreur historico-linguistique, mais qu’importe ? Le principal est de disposer d’une nuance pour signifier la différence de voir de monsieur « tout-le-monde » et celle de l’autiste profond.
On a l’habitude de distinguer clairement entre, dirons-nous, une vue et une vision, c’est à dire entre une perception objective et un fantasme. On sait pertinemment qu’une perception objective livre, dans les limites de la science, la « vérité » tandis qu’un fantasme est issu de l’imagination si ce n’est de l’inconscient. On ne veut surtout pas savoir que notre perception, soit-disant objective, est en partie recouverte de fantasmes et l’on oublie, bien qu’on le répète à l’envi, que les savants perçoivent le monde de demain grâce à leur imagination. A chaque fois, le monde de demain n’est pas tellement plus différent que celui d’aujourd’hui – par exemple le vol du premier aéroplane ne fut pas perçu comme une nouvelle pratique qui fera que chacun finira par prendre l’avion -, sauf que le regard qu’on porte sur lui n’est plus exactement le même. A chaque instant, l’opinion, les possibilités de l’imagination et les poussées inconscientes déterminent une catégorie de fantasmes lesquels, sous une apparence anodine, recouvrent le monde qu’on croit regarder. Ce type de fantasmes n’est pas extraordinaire, il ne coupe pas de ce que voient les contemporains. Bien sûr, il existe d’autres fantasmes, plus excitants, plus gênants, plus intimes qui font les belles nuits des rêves et les beaux jours des confessionnaux ou des séances de psychanalyse, mais ceux-là sont censés relever de la vie privée, bien qu’à notre époque on ne cesse d’en parler et que beaucoup d’oeuvres d’art n’ont jamais manqué de les monter en épingle. En ces matières il nous paraît important de noter que ces fantasmes, reconnus comme tels, ne sont, en fait, pas beaucoup plus fantasmatiques que ceux que nous avons qualifiés d’anodins et qui participent des perceptions les plus banales. Il y a là un tri effectué par le refoulement et la conscience. Pareil tri ne signifie pas que ces deux types de fantasmes ne soient pas de même nature, il s’agit seulement d’une question d’amplitude et d’excès. Dans le cas de la perception commune, le refoulement agit de tel sorte qu’il ne supprime pas la vision mais qu’il intervient sur la conscience afin qu’elle ne se rende pas compte qu’on a à faire à des fantasmes – ce qui permet de maintenir les foules dans l’ignorance de l’opinion. Dans le cas du fantasme plus personnel et plus intime, au contraire, le refoulement indique clairement à la conscience qu’on a à faire à quelque chose de fantasmatique – ce qui permet à l’individu de toujours savoir s’il perçoit un réel admissible ou fantasmatique. Il existe un troisième type de fantasme, celui qui ne parvient pas à la conscience, que le refoulement a délibérément écarté et qui, pourtant, travaille et ronge la personnalité. Bien que différents, ces trois types de fantasmes sont de même nature : ils mettent en jeu, avec des variantes, le refoulement ( nous ajouterons la signification).
Pour sa part, l’autiste profond ne dispose pas de la possibilité de mettre en jeu le refoulement. En ce qui le concerne, nous ne parlerons plus de « fantasme » mais de « phantasme ». L’autiste profond n’est pas assailli par des fantômes mais par des PHANTÔMES. Le refoulement n’est pas passé par là, avec son auxiliaire, la signification et les fantômes avec une forme, ne serait-ce que celle de leur suaire, n’existent pas encore ou risquent de ne jamais exister, c’est à dire de ne jamais être perçus. Les autistes profonds sont confrontés à des phantasmes sans fantaisie. Ce qui ne leur empêche pas d’être terrifiants.