Le rôle fondamental de « la défense » dans l’existence de tout ensemble s’explique simplement : la défense serait la déclinaison du processus de Re-présentation. Amusant de constater que la défense soit issue de la Re-présentation, quand on a l’habitude de voir nombre de comédiens – particulièrement au Boulevard – s’adresser frontalement au public, le « prendre à bras le corps », d’une certaine façon « l’attaquer », et d’avoir entendu les professeurs d’art dramatique (à l’ancienne) conseiller de « bien attaquer sa réplique ». Nous savons que ces réflexes sont dus à la tendance millénaire du théâtre à se confiner dans un art de l’expression, donc de la signification, mais nous devons savoir, aussi, que « l’attaque » vient de la « défense » dont elle n’est qu’une part. On a l’habitude de penser qu’à partir du « simple » on fait du « complexe », mais on aurait tort d’oublier que le « plus simple » se décline aussi du « plus complexe ». Si, selon certaines langues, la « défense » est un détournement de ce qui frappe, une espèce de « désattaque », pour sa part « l’attaque » est une spécialisation (selon le proverbe, la meilleure), un détournement, si ce n’est un retournement particulier de la « défense ». Retournement qui s’inscrit dans le parcours de la Re-présentation, laquelle se plait à faire des noeuds.
Quant au « refoulement », il apparaîtrait à un stade ultérieur de la défense générale. Il est besoin de relativiser cet emploi de l’adjectif « ultérieur » qu’il ne faudrait pas situer dans une perspective systématiquement « historique », ce qui, nous en convenons, n’est pas aisé. Bien que, dans l’ordre de la succession (il existe deux ordres, celui, temporel, de la succession et celui, spatial, de la coexistence), la constitution du refoulement succédât à la défense, au sens large, elle ne se produisit pas longtemps après sur une échelle historique. Disons, au risque de vous surprendre, que la simultanéité n’efface pas l’ordre de la succession, ce que l’on peut observer dans l’univers des quanta où il est difficile de déterminer que tel évènement précède historiquement tel autre, bien qu’on puisse émettre l’hypothèse qu’il en soit la cause (le physicien Shrödinger en donna l’image avec une expérience de pensée au cours de laquelle on ne sait jamais si l’on observera un chat – le fameux « chat de Shrödinger » -, dont l’empoisonnement est déclenché par l’élévation d’un taux de radiation nucléaire, dans un état de vie ou de mort – cela variera selon les observations).
On rencontre cette même ambiguïté entre, à leur tour, le » refoulement « et la « signification ». Voilà pourquoi nombre de spécialiste tordent le nez devant le « refoulement originaire » dont ils se demandent s’il aurait à voir avec un refoulement dans la mesure où il ne refoulerait rien, puisqu’il n’aurait pas d’objet à repousser, c’est à dire la moindre signification à rejeter. On aura beau leur communiquer l’hypothèse selon laquelle ce refoulement originaire susciterait ce qu’il a à refouler, produirait la première signification, ils ne seront nullement convaincus tant ils en tiennent pour la signification comme base de la psyché, si ce n’est comme fondement ou cause de l’existence. Nous nous devons d’apporter une précision essentielle : lorsque, pour notre part, nous parlons de « signification », nous évoquons une capacité identique à celle de communiquer alors que les spécialistes entendent un objet et, qu’ils le veuillent ou nom, un objet « originaire ». Pour eux, il n’y a d’originaire qu’un objet, n’est-il qu’intellectuel, il leur semble impossible d’envisager un processus originaire. Nous les comprenons dans la mesure où un processus originaire n’est pas perceptible tant qu’il n’a pas d’objet. Il leur est impossible de subodorer un processus tant qu’il n’a pas un objet qui le cause ou un objet sur lequel il s’active, fut-il leur puissance créatrice. La signification comme objet occupe la première place dans la plupart des esprits même incrédules. Le théâtre, en dépit de ce que peuvent croire ses plus grands artistes, rappelle qu’une signification objectale n’existe que d’être jouée et, en étant attentifs à cette leçon, nous osons demander si pour se rapprocher des autistes profonds il ne serait pas nécessaire de penser à l’en deçà de la signification comme objet. Facile à dire…
En tout cas, à défaut de parvenir à nous rapprocher des autistes profonds, nous pouvons déjà noter la distance considérable qui existe entre eux et les « Asperger » (à se demander s’il est vraiment pertinent de les intégrer dans un même ensemble – rappelons le, nous sommes conscients de n’avoir aucune compétence pour trancher). Nous avons l’impression qu’ils ne jouent pas dans la même cour : dans celle des autistes profonds, il n’y aurait pas encore de refoulement, et dans celle des « Asperger », au contraire, règnerait un refoulement excessif, lequel conduirait à une appétence envers la signification objectale, du moins pour les formes les plus épurées de celle-ci.