Comment le Théâtre contribuerait à un meilleur questionnement de certains aspects de l’Autisme 50

Posted by on Nov 4, 2014 in Blog

Au moment de clôturer, et surtout pas de conclure, cette série de notes sur le théâtre et l’autisme, nous voulons répondre à ceux qui, restés sur leur faim, nous dirons : « c’est bien joli tout ça, mais vous ne nous avez pas expliqué comment le théâtre pourrait aider à soigner l’autisme ! ». Tout d’abord, il n’est pas certain que l’autisme existât en soi, après tout ce n’est qu’une désignation, pour ne pas dire une affectation (et non une affection) pathologique afin de classer certaines catégories d’individus que les « sciences de la santé mentale » sont censées soigner spécifiquement et que des spécialistes jugent comme relevant plus largement de la psychose. Sujet délicat, nous avons à faire à, au moins, deux registres qui, d’ailleurs, ne sont pas exclusifs l’un de l’autre : selon l’un, l’autisme serait une sous-catégorie de la psychose, selon l’autre, nous conserverions tous un noyau psychotique susceptible d’être réactivé.  Maintenant, en ce qui concerne les types de classement, tant appréciés tant on se plait à placer les êtres humains dans des catégories précises, nous sommes en droit de nous demander si les fameux « Asperger » constitueraient vraiment une catégorie, laquelle, à partir de la remarque d’un thérapeute autrichien qui ne soit pas Freud, aurait été inventée de toute pièce, instrumentalisée et médiatisée par la psychologie américaine, auprès de parents inquiets de voir leurs enfants « pas normaux » comparés aux autres – mais qui est normal ? Nous sommes en droit de nous demander  si cette catégorie « très spéciale » ne servirait pas à classer des autistes parmi d’autres et si on ne l’utiliserait pas, dans un même temps, pour désigner des individus qui, certes, ont des difficultés et des problèmes mais qui sont « presque normaux », des « pré-normaux » en quelque sorte ! On aura surement envie de nous rétorquer : « alors pourquoi avez-vous pris du temps à soi-disant réfléchir sur l’autisme ?  » Il faut être encore plus autiste que les autistes eux-mêmes pour ne pas voir, ne pas entendre et ne pas sentir que l’autisme interpelle chacun d’entre nous, et ceci pour deux raisons, l’une superficielle : qui aujourd’hui ne nous parle pas de l’autisme ? L’autre profonde : ne venons-nous pas, tous, plus ou moins d’un état proche de l’autisme ou, sur la pente de la vie, notre sensibilité ne s’avance-t-elle pas sur un chemin parallèle au gouffre autistique ? Oui, évidemment, c’est trop facile de dire que nous serions tous autistes, c’est presqu’une insulte à l’encontre de tous ceux qui, terrorisés, se barricadent autour d’eux-mêmes, c’est presque du mépris à l’encontre des autres qui, en dépit des obstacles, se battent pour survivre et être acceptés par leurs contemporains. Et la souffrance ? Celle des autistes et de leurs proches ? Ayons l’honnêteté de dire que nous ne sommes pas des autistes – bien que souvent nous ne soyons pas à l’aise dans notre peau ni au milieu des autres – et prenons-en justement la responsabilité, donc, en l’occurrence, prêtons attention à tous ceux dont on dit qu’ils le sont – après tout chacun d’entre nous se tient sur la crête des périls. Puisque nous parlons de théâtre et que celui-ci a toujours eu la prétention de traiter de tout – la politique, la guerre, le bonheur… -, qu’il parle de  la désolation psychique, mais que, pour en parler, il ne se contente pas d’en discourir au travers de ses répliques.

Nous n’avons pas dit comment le théâtre pourrait soigner l’autisme : d’abord bien malin celui qui serait capable de définir et délimiter la pathologie autistique ; ensuite, encore plus malins ceux qui veulent que le théâtre serve toujours à quelque mission précise, à part, on s’en doute, à procurer du plaisir – « oui mais pas à n’importe quel prix ! (et on ne parle pas du montant du billet) ». C’est incroyable comme chaque activité doit rendre des comptes qui ne soient surtout pas ceux du plaisir. D’ailleurs, dans ce domaine, le théâtre ne serait pas bien placé par rapport aux autistes. Ils ne le goûtent pas vraiment et ceux qui en sont conscients s’en méfient. Pourtant, socialement, il faut que quelque chose serve ou soigne quelque chose ! Malheureusement, dans les pharmacies on ne trouve pas de billets pour le théâtre ; vous pensez bien que si le théâtre servait à soigner la grippe ou à inverser la courbe du chômage, toutes les pharmacies et même toutes les agences de « pôle emploi » en vendraient ou en distribueraient les tickets. Au sujet de ces fameux billets à tarif réduit, il faut se rendre compte que, dans la plupart des « boites », les comités d’entreprise ont le plus grand mal à écouler les places de théâtre, sauf, bien sûr, pour voir « Holliday on ice » ou participer à un concert de rock. Les temps changent, les illusions aussi. La seule solution consisterait à faire comme certaines cités grecques qui avaient rendu le théâtre obligatoire, comme de nos jours l’enseignement (mais pas tous les jours). Et puis, en se repliant encore plus sur eux-mêmes, les autistes n’apprécieraient pas du tout ce genre d’obligation.

Nous n’avons donc pas dit comment le théâtre pourrait soigner l’autisme, en revanche, nous avons tenté de montrer combien réfléchir sur le théâtre pouvait contribuer à mieux réfléchir sur l’autisme. Contribution réciproque, parce que se pencher vers l’autisme pousse à remettre en question des évidences qui empêchent de se demander pourquoi, par exemple, il y a du théâtre. Entre autres : l’évidence qui entend que la signification précède toute chose, l’évidence pour laquelle jouer revient à s’exprimer plutôt que de re-présenter, l’évidence qui veut que le personnage soit en train de passer de mode et ne mérite plus que d’être indiqué, seulement raconté quand ce n’est pas caricaturé… Réfléchir quant à ce qui permet le théâtre, donne l’opportunité de soulever quelques hypothèses comme : la distinction entre la défense basique et le refoulement, le rôle de ce dernier par rapport à la mise en place, moins initiale, du dispositif de subjectivité, la fonction autonome de la signification en tant que fil (non comme objet)… Ces hypothèses, ainsi que la mise en question de certaines évidences, reposent sur un point nodal : le processus de Re-présentation, ce processus qui, sans être vraiment un processus – donc en deçà de toute causalité -, suscite non seulement la matière mais aussi sa psyché.