Selon l’esprit des Chiffres, il serait incohérent d’inscrire les deux Chiffres de succession sur la même circonférence que les Chiffres de conjonction.
On remarque le diamètre du cercle central qui relie 3 et 6. Si on prolongeait le diamètre, tel que nous le présentons dans ce schéma, il aboutirait en haut, sur la circonférence des Chiffres de conjonction à un point qui se trouve au milieu entre 2 et 4, et, en bas, à un point qui se trouve au milieu entre 5 et 7. Mais il s’agit d’un schéma statique qui ne correspond pas exactement à la fluidité de la matière.
Faisons appel à l’image des aiguilles d’une montre afin d’esquisser deux réflexions :
- d’abord l’esquisse d’une réflexion quant à la naissance, dans l’esprit humain, de l’unité numérale, le 1 qui se déplace. Le diamètre 3-6 n’est pas immobile, il tourne et, à chaque fois, ses prolongements coïncident avec des Chiffres de conjonction ou avec des points situés entre ceux-ci. Né de la succession, la perception temporelle nous donne l’idée de « quelque chose » qui se déplace en se répétant. Le Chiffre de répétition 1 avait pour vocation d’accomplir cette représentation mentale. La voie s’ouvrait pour l’addition,
- ensuite, l’esquisse d’une réflexion quant aux modifications que la vitesse apporte à un objet. Sur notre schéma, de 3 à 6 se déploie un diamètre qui, comme une montre avec deux aiguilles, est composé de deux rayons 9-3 et 9-6. Ces deux rayons, comme les deux aiguilles d’une montre ne sont pas systématiquement dans le prolongement l’un de l’autre, mais ils forment toujours un angle l’un avec l’autre. En réalité, dans tous les cas de figure, ils forment toujours deux angles :
Notre schéma présente deux angles A et B. Plus l’angle A s’élargit et augmente en degrés, plus l’angle B rétrécit et diminue en degrés.
Lorsqu’il est mobile, ce schéma simpliste suggère la problématique des modifications apportées à un objet par sa vitesse. pour faire court : depuis Einstein, on a pris conscience que le volume d’un objet diminue et que son rythme temporel ralentit au fur et à mesure que sa vitesse augmente. Par vitesse, on entend par rapport à un corps référentiel (bord d’une route, quai d’une gare). Dans notre univers, seule la lumière n’a pas de corps référentiel particulier, ce qui explique que sa vitesse soit invariable (environ 300.000 kilomètre à la seconde) quel que soit le corps référentiel depuis lequel on la mesure. Il est évident qu’à notre échelle, avec les vitesses dérisoires que nous atteignons, ces modifications sont indiscernables. Heureusement, au cours des siècles,les physiciens nous poussent à dépasser nos intuitions.
Quelle lecture de notre schéma permettrait d’envisager les modifications apportées à un objet par sa vitesse ?
Sous les yeux nous avons deux angles A et B. Pour notre explication, nous pourrions faire tenir à l’un ou l’autre, l’un des deux rôles. Prenons, arbitrairement, d’abord l’angle A. Dans cet angle A, l’amplitude de degrés entre 3 et 6 marque la différence de vitesse entre 3 et 6. Que ce soit 3 ou que ce soit 6, l’un des deux tient le rôle de corps de référence tandis que l’autre tient le rôle de l’objet qui se déplace par rapport à ce corps de référence :
a – l’écart entre 3 et 6 augmente avec la vitesse de l’objet par rapport au corps de référence.
b – l’écart entre 3 et 6 indique aussi un autre élément : l’importance de ce que nous désignerions comme « un instant » ou un présent. Quand nous parlons d’instant, nous parlons de l’instant qui se déroule sur et dans l’objet qui se déplace. Nous ne parlons pas de l’instant vécu sur et dans le corps de référence, instant égal à presque zéro. Donc, quand un objet se déplace, ses instants se « gonflent », c’est à dire que le rythme de succession ralentit par rapport à celui qui est vécu sur et dans le corps de référence. Le temps passe moins vite, mais ceci sans qu’un observateur placé sur l’objet en déplacement puisse s’en rendre compte.
Maintenant, considérons l’évolution de l’angle B :
Plus l’angle A augmente son amplitude et ses degrés, plus l’angle B voit ceux-ci diminuer.
Plus un objet acquiert de la vitesse par rapport à un corps de référence, plus son rythme de succession ralentit et plus son volume diminue en se contractant (les physiciens ont observé que la contraction s’effectue dans le sens de la vitesse. Dans notre schéma on peut dire que le sens de la vitesse est placé à la frontière de A et de B, là où l’angle A augmente sa vitesse).
Parmi les spectacles vivants, la danse n’est pas la seule à porter attention au rythme.
Ne serait-ce que les artistes du cirque qui rattrapent la balle ou le voltigeur à l’instant « t ». Mais cet instant t sur le parquet, la piste ou le clavier, dépend rigoureusement du cadre de succession de « l’objet » sur lequel se déroulent les performances spectaculaires. En disant que l’instant t « dépend rigoureusement » nous ne passons pas sous silence ni ne détournons le regard des exploits accomplis par les actants. Mais l’aspect incroyable de beaucoup de ces exploits n’est incroyable qu’en raison de nos habitudes de perception et d’opinion. Nombre d’actants ont le talent de signifier que leurs exploits transgressent les lois de « l’objet » sur lequel nous nous trouvons. mais ce ne sont que significations et non « réalités » (bien qu’il ne faille pas oublier que toute signification soit, en elle-même, une réalité).
La différence entre l’actant, aussi talentueux soit-il, et l’acteur est la différence entre « l’action » et « l’acte », la différence entre l’activité et le jeu. Le jeu de l’acteur peut le conduire à changer d’habitation « d’objet ». En revanche, les actants ne changent pas d’habitation. Leurs performance leur permettent d’atteindre des partie inhabituelles de l’objet, c’est cela qui nous trompe. En revanche, l’Acteur accède à de nouvelles habitations, de nouveaux objets. Il ne se contente pas d’en fabriquer l’illusion, d’en fournir la signification. Son vécu s’y engage.
On serait tenté de voir dans ce prétendu engagement du « vécu », une hallucination subjective. sauf que ce soi-disant subjectivisme est partagé par nombre de spectateurs. Et si on nous objecte qu’une hallucination est d’autant plus nocive qu’elle est collective, nous rappelons que les contempteurs de l’identification théâtrale ont constaté le dédoublement de l’Acteur. Ils s’en sont servis pour dénoncer un manque de sincérité alors que, bien au contraire, ce dédoublement, partagé par les spectateurs, est une preuve de conscience (le cas du spectateur de mélodrame qui attendait le « méchant » à la sortie du théâtre afin de « lui régler son compte » apporte, au contraire, la preuve d’un mauvais théâtre fait de significations lesquelles, se conjuguant avec l’opinion, sont plus aliénantes que des processus de re-présentation – et non des représentations).
Lorsque, grâce à son jeu, l’Acteur parvient à s’identifier, il chevauche des objets dont les rythmes de succession ne sont pas les mêmes que dans notre petit monde. Le fait de s’identifier ne veut pas dire qu’il s’identifie à un personnage précis.
Un Acteur s’identifie à des personnages, à une situation, à des rôles, à une démarche. Il y a beaucoup à dire sur l’identification théâtrale, mais ce n’est pas le thème de la présente étude.
La pensée qui, siècle après siècle, conduit notre espèce à inventer les nombres, efface la distinction entre une circonférence propre aux Chiffres de conjonction et une circonférence propre aux Chiffres de succession. Elles place sur une même ligne l’ensemble des Chiffres en tant que nombres.
Le passage d’un nombre à un autre n’est plus le résultat d’un doublement mais le fait qu’on ajoute, qu’on additionne une unité. L’invention de cette unité est une trace de la différence entre la progression par doublement et la succession plate de l’addition qui, comparativement, donne l’impression de « coups égaux ».