Au travers de ce qui nous donne l’impression d’être « la même chose » agissent des nuances qui démontrent que, plutôt qu’une compacité indifférente, il y différence. Ces nuances différentielles sont les symptômes de la différence « générale » grâce à laquelle elles sont en mesure de se différencier. Parce que cette différence « générale » est aussi le motif de rassemblement d’un certain type de nuances, mais aucune de celles-ci n’est en droit de prétendre être le symbole déterminant de la différence « générale ». Sauf la différence du complémentaire !
Après tout, le complémentaire est un Chiffre comme un autre, puisque tout Chiffre est complémentaire d’un autre, à la limite c’est un anonyme. Vous nous direz que c’est le cas pour toutes les situations. Tout Chiffre (à part 0 et 9) est le double ou la moitié d’un autre, mais nous ferons remarquer qu’il s’agit d’un mécanisme « simpliste » et évident. Et nous en profiterons pour rappeler la conviction de Gaston Bachelard quant à l’idée de réalité « C’est essentiellement la conviction qu’une entité dépasse son donné immédiat, ou, pour parler plus clairement, c’est la conviction que l’on trouvera plus dans le réel caché que dans le donné évident ». (Cf. » Le nouvel esprit scientifique » Gaston Bachelard. Presses Universitaires de France 1968 p 30).
Les complémentaires sont des Chiffres aussi réels que les autres, pour la bonne raison que ce sont les autres. De plus, leur anonymat les cache, comme le même masque le même. D’ailleurs le double (dans ses deux acceptions du doublement et de la diminution) est un « truc « – que les hommes se sont empressés de socialiser – pour faire oublier le complémentaire.
Génialement, avec ses postulats, Euclide a plus ou moins « forcé » la question du double. Pensez à son histoire de parallèles ! Au fond, c’est une affaire de doubles. Plus prosaïquement, si vous entrez dans un gymnase et que vous vous trouviez face aux « barres parallèles », sous les yeux vous avez deux barres différentes. Mais l’une n’est pas plus une barre parallèle que l’autre. Elles constituent un seul et même agrès. Mais l’une n’est pas plus parallèle que l’autre. Elles ont besoin de l’une et de l’autre pour être les parallèles d’un même agrès. Il est obligatoire, bien qu’interchangeables dans un même espace-temps, que l’une et l’autre soient, chacune, autre. Le même est autre et l’autre est même.
Voilà un oxymore qui fut insupportable à l’esprit humain au fur et à mesure qu’il s’éveilla à la conscience. Avec son cinquième postulat, Euclide lui rend un grand service : une sorte de double peut tenir lieu d’autre, car il est inadmissible qu’un autre puisse faire partie du même. Euclide inventa la parallèle, nous avons bien dit « inventa » car il n’est pas sûr qu’elle existât dans l’univers concret. Deux parallèles, c’est simple comme principe : ce sont deux choses pareilles, ce sont deux lignes qui ne se rencontrent jamais. D’ailleurs, là est la règle : ne jamais s’écarter,ne jamais se rapprocher, ne jamais se rencontrer. Il s’agit peut-être du même, mais jamais des mêmes. Pour cela, il faut que les lignes soient coupées ! C’est le coup de génie d’Euclide : les parallèles ? des lignes qui ne pourront jamais se rencontrer.
Nous nous trouvons bien dans le monde des nombres, monde dans lequel le double recouvre la moindre possibilité de penser au complémentaire. A tel point qu’on en viendra à sous-estimer le double en tant que double, soit qu’on le tiendra pour un sous-modèle de piètre qualité soit qu’on le prendra pour une apparition originale (tels les articles « neufs » qu’on achète dans les magasins).
Après Euclide, on est convaincu qu’un autre peut avoir du même, mais l’on semble oublier que dans le même, il y a une part d’autre. Il faudra Sigmund Freud pour que certains commencent à l’envisager. Pourtant, bien avant le règne absolu des nombres et l’invention sublime des parallèles, l’univers des Chiffres offrait la possibilité de constater ce qui ne fut pas constaté ou, peut-être, tout simplement oublié ou, encore mieux, jugé inadmissible parce que contradictoire pour la visualisé traditionnelle.
Euclide fait rentrer tout le monde dans le rang. Plus exactement, dans « les » rangs car il faut qu’il y ait au moins deux rangs. De plus, ces rangs ne doivent jamais se rencontrer. Et, attention : » En géométrie ‘ordinaire’, d’un point pris hors d’une droite donnée, on peut mener une parallèle à cette droite, et on ne peut en mener q’une. » (Cf. « Dictionnaire des mathématiques élémentaires » . Droites parallèles p. 831. Stella Baruk. Seuil 1992).
Mais, au fait, qu’est-ce qu’une droite ? « Pas plus que pour le point, il n’existe donc de définition autonome d’une droite. Il n’est pas défendu de l’évoquer ; une ligne – suggérée par le fil… »* Comme il n’était pas défendu de l’évoquer au moyen de l’image du fil, on s’est empressé d’imaginer une fil tendu et, de manière plus pratique, un fil qui relie deux points de la manière la plus courte.
Aussi sympathiques et pratiques leur ont-elles parues, les mathématiciens n’ont pas accordé de statut scientifique à ces images. Il était obligatoire de rester dans le domaine des idéalités. Pourtant l’univers n’est pas « idéal » et si nous attachons les deux bouts du fil nous pouvons, en écartant nos mains au milieu du cercle que nous venons de former, en tendre le fil de la circonférence.
Mais avec un cercle, nous aurions toujours une seule ligne. Et puis cette ligne, bien que tendue, serait concentrique. Dans ce cas, nous serions en contradiction avec l’autre image, si pratique, qui montre qu’une droite est le plus court chemin d’un point à un autre. Mais est-ce si sûr ? Dans l’univers existe-t-il des droites idéales ? Et dans les cercles concentriques, aux circonférences desquelles nous avons placé les Chiffres de conjonction et les Chiffres de succession, le plus court chemin pour relier deux points opposés est-il celui du diamètre ? Si nous partons du Chiffre 1, en ligne droite, pour rejoindre le Chiffre 8, notre ligne disparaitra dans la zone de fusion et de confusion du 9. Dans l’univers, bien souvent, il faut contourner des obstacles et le cercle est bien souvent le plus sûr et le plus rapide. Au bord des sables mouvants, il est périlleux de crier « droit devant ! ». (Cf. « Dictionnaire des mathématiques élémentaires ». Droite p. 379. Stella Baruk. Seuil 1992).
Non seulement notre cercle présente un caractère tendu, mais il nous offre le chemin le plus accessible vers un autre point. Malheureusement, si nous prenons deux de ses arcs de cercle opposés, tels que celui au milieu duquel se tient 1 et celui au milieu duquel se tient 8, ceux-ci ne nous donnent pas l’impression d’être parallèles l’un à l’autre. Dommage, parce que nous commencions à croire qu’avec notre cercle, nous avions « retrouvé » la « ligne droite parallèle à elle-même », une espèce de serpent de mer chassé de notre monde par l’ordre des nombres. Pourtant, il n’a pas disparu, simplement nous ne savons plus le voir.
Face à face, les deux arcs de cercle opposés nous font penser à un homme qui, rentrant son ventre au maximum, jusqu’à se plier, se regarderait dans une glace. Celle-ci lui renverrait la même forme rentrée à l’excès. Certes, en raison du croisement optique, l’épaule gauche de l’homme qui se regarde sera devenue l’épaule droite de celui qui est regardé, mais en profondeur ce sera toujours la même chose, la même courbure. Pour que, dans cette dimension, les deux profils soient parallèles, au sens usuel, il faudrait que le miroir soit déformant, c’est à dire que l’éventuel ventre rentré devienne un gros ventre qui s’avance dans son image. Ce n’est pas le cas et ceci est beaucoup plus important qu’on ne le croit. Le reflet de la projection du bonhomme est parallèle au reflet renvoyé par le miroir déformant. Et ce serait une erreur que de jeter ce parallélisme aux orties.
De plus, dans un miroir normal (non déformant), les deux arcs du ventre donnent l’impression de se contredire et on occulte une dimension essentielle :
- le point du Chiffre 8 – complémentaire du Chiffre 1 – ne se trouve pas systématiquement et seulement sur la circonférence d’un cercle unique,
- il y a, dans l’univers, des milliards de milliards de cercles et, parmi eux, il en existe au moins deux dont l’arc 1 et l’arc 8, sont parallèles.
A part les duos de points complémentaires qui se tiennent sur un même cercle, tous les arcs complémentaires qui existent dans l’univers, ne retiennent pas ici notre attention, pour la raison, justement, qu’ils ne participent pas à un même cercle. Mais les arcs complémentaires d’un même cercle ne sont pas conventionnellement parallèles :

Figure 5
Le point 8, complémentaire dans le cercle A, a de fortes chances statistiques de se trouver sur plein d’autres cercles, particulièrement un cercle B d’égal rayon que celui de A. Dans ce cas, il est au milieu d’un arc 8-B lequel est parallèle à l’arc 1 du cercle A :

Figure 6
A noter que le Chiffre 8 se trouve au milieu de deux arcs qu’il relie : les arcs 8 des cercles A et B.
Mais il n’y a pas que deux cercles passant par ce point 8. Dressons la circonférence d’un troisième :
CERCLES A, B et C

Figure 7
Nous venons de tracer un troisième cercle C, dont notre point 8 est le complémentaire de son Chiffre 1.
Et, maintenant, traçons un quatrième cercle dont la circonférence reliera le point 1 du cercle C et le point 1 du cercle A :

Figure 8
Constats :
- l’arc 1 du cercle A est parallèle à l’arc 8 du cercle B,
- le Chiffre 8 est le complémentaire du Chiffre 1 du cercle C,
- mais ce Chiffre 8 est aussi le complémentaire du Chiffre 1 du cercle D
- et le complémentaire du Chiffre 1 du cercle D se trouve placé sur le Chiffre 1 du cercle A !
Dans notre exemple, courant dans la matière, nous avons un parcours intéressant du point du Chiffre 8. Nous disons bien le point parce qu’après tout, le Chiffre 8 n’a pas une « personnalité » avec une individualité douée d’ubiquité qui lui permettrait, en tant qu’elle-même, d’être à la fois, dans le cercle A comme complémentaire de son Chiffre 1 et, en même temps, accolée à ce Chiffre 1-A. La circulation du Chiffre 8 depuis le cercle A (face à son complémentaire 1-A) et depuis l’arc du cercle B, parallèle à l’arc A-1, passe par son complémentaire 1 du cercle C pour rejoindre, grâce au cercle D, le point 1 du cercle A.

Figure 9
Cette circulation du Chiffre 8 n’est pas celle d’une entité singulière et en elle-même. Non, il s’agit du repérage de points dont on dira que ce sont des représentants de ce 8. Il y a corrélation entre tous ces Chiffres et cette corrélation au tavers de ces points dont on s’est toujours demandé s’ils avaient une existence concrète.
A défaut de croire en l’existence des points, on utilise leurs représentations depuis des siècles. Notons le caractère amusant de la démarche : on n’arrête pas de les représenter mais l’on sait très bien qu’ils n’ont pas de forme. Donc, sans y réfléchir, on tient la forme pour une essence. Ceci impliquant que la nullité n’est pas sans forme ou, du moins qu’elle permet l’apparition dont les points sont les représentations les plus originales, puisque visibles autant qu’invisibles. Au bout du compte, toutes les figures qui se développent à partir du point apportent la preuve de l’existence du point dont, pourtant, on n’est pas assuré qu’il existe.
Avec les figures qui se déploient à partir d’eux, on fonde les points, particulièrement quand ces figures se croisent. On pourrait dire qu’en se croisant, les figures reviennent sur elles-même, c’est à dire au point. Pour notre part, nous irons jusqu’à nous permettre de dire que le point partage les dessins des figures issues de lui. Ainsi nous dirons que le point 8, en tant que milieu de l’arc du cercle B parallèle à l’arc 1 du cercle A, nous dirons que ce point 8, qui participe aussi aux cercle C et D, est parallèle au point 1 du cercle A.
Un point parallèle à un autre ? ! Quelle absurdité ! Sans forme, s’ils existent, les points peuvent très bien être parallèles les uns aux autres, comme ils peuvent ne l’être pas. » L’absurdité » du parallélisme des points fut rapidement évacuée par le monde des nombres et, justement, tenue pour une absurdité que même les esprits les plus frustes firent sortir de leur tête.
Pour que deux points, au moins, soient parallèle, il faut :
- que, dans un même cercle, les deux Chiffres de ces points soient complémentaires,
- qu’ils participent, l’un et l’autre de deux arcs parallèles, étant entendu que ces deux arcs appartiennent à deux cercles différents reliés par l’un des deux complémentaires,
- que ce Chiffre complémentaire reliant les deux premiers cercles, ait, dans un troisième cercle, un autre complémentaire,
- lequel, a son tour, au moyen d’un quatrième cercle comprenant le premier Chiffre, accole au point de celui-ci, le point de son propre complémentaire,
- complémentaire qui, superposé au premier Chiffre du premier cercle, a même valeur que le complémentaire de celui-ci.
C’est un peu comme si le complémentaire d’un Chiffre se retrouvait accolé et superposé à ce Chiffre. Bien sûr le point superposé au point de ce premier Chiffre n’est qu’un point, mais c’est un point qui acquiert de la personnalité parce qu’il représente le complémentaire, dans son cercle, du Chiffre auquel il se superpose. Et le complémentaire qu’il représente, ne l’oublions pas, participe à un second cercle dont l’arc, dont il est le milieu, est parallèle à l’arc du premier Chiffre.
Le retour sur un Chiffre (dans nos exemples le Chiffre 1) d’un point répercuté depuis son Chiffre complémentaire (8), lequel participe, dans un second cercle, à un arc parallèle à celui du premier Chiffre, nous rappelle la règle qui veut qu’une même ligne relie un point à un autre. Et nous assistons au retour du « serpent de mer » qui n’est plus fantasmatique mais devient, concrètement, une ligne parallèle à elle-même grâce à la « monstruosité » de deux points parallèles. Le retour de tels monstres, oblitéré par la raison numérale, est l’apparition des sens, lesquels seront immédiatement formatés en significations.