Lexique 3
possession : adopté, bien malgré elles, par les populations « animistes », mais imposé, en fait, par les sociétés occidentales formatées par les religions révélées. La possession est un des symptômes, les plus essentiels, qui affectent les « initiés » – et des non initiés – au cours d’une cérémonie d’un des différents rites animistes. Contrairement à ce que semble dire le terme de possession, le sujet de celle-ci ne se possède plus. Il a perdu conscience, ce qui ne l’empêche pas d’accomplir un certain nombre d’actions et de prononcer certaines paroles d’une langue qui, parfois, ne lui est pas maternelle. Il est alors possédé par autre chose que lui-même dont il n’a plus la maitrise. Toutefois, cette maîtrise semble appartenir à une culture qui peut lui être étrangère et dont l‘expression est contrôlée par un « prêtre » ou une « prêtresse. Les cultes animistes perdurant en Afrique, dans les Caraïbes, en Amérique du sud et dans plusieurs régions d’Asie, furent très présents en Europe, en Afrique du nord, au Moyen Orient et en Amérique du nord, avant que d’être éradiqués par la puissance des religions révélées. En ces matières, on a à faire à un déni : selon l’opinion courante, en Occident les cultes animistes n’auraient, pour ainsi dire, presque jamais existé et ceux qui, dans le reste du monde, n’auraient pas complètement disparu, se seraient rapidement associés et mêlés aux « grandes religions ». Il est, tout de même, curieux de constater que, dans beaucoup de zones de l’Islam et dans quelques courants du Protestantisme, les cérémonies suscitent, aujourd’hui, des manifestations de possession. Dans la Grèce antique, particulièrement hors des Cités, le culte Dionysiaque (Dionysos fut considéré comme le dieu du théâtre), donna naissance à des choeurs de jeunes femmes qui couraient la campagne en état de possession. Ces possessions furent les ancêtres des démarches d‘identification, mais, rapidement, les Cités mirent la main sur ces manifestations dangereuses pour l’ordre public et entreprirent d’en canaliser les pulsions en organisant des Choeurs masculins plus disciplinés, puis encouragèrent les démarches de signification propres à la Tragédie et à la comédie. Le regard porté par l’Occident sur la possession est celui de la raison et il serait périlleux d’en faire fi. On est pris entre deux risques : celui qui consiste à se soumettre sans réserve à la raison et à refuser l’existence de « tout autre » chez l’homme et tous les êtres vivants, celui qui revient à s’abandonner à l’irrationalisme sans présumer des crimes que cela peut entraîner. La situation est difficile pour une réflexion sereine sur le Théâtre. Qu’en saurait-on réellement de celui-ci si l’on passait sous silence la possession antique et le travail d‘identification sous le prétexte qu’il s’agirait là de manoeuvres attentatoires à une rationalité à courte vue pour laquelle le théâtre et son jeu doivent se limiter à la signification, l‘expression et au seul spectacle ?
identification : le manque d’information scientifique rend impossible de savoir si, dans l’évolution de l’espèce humaine, la possession précèderait l’identification, ou l’inverse. Il n’est pas question du même plan : la possession semble relever du plan sociétal, tandis que l‘identification relèverait du plan individuel. Vouloir trancher entre ces domaines apporte la preuve qu’on souhaite mettre en avant telle ou telle idéologie. On dira plutôt que la possession et l‘identification sont corrélatives. Il n’en reste pas moins que l’identification est une extirpation de la possession : si « on se prend pour quelque chose », c’est, qu’au moins, l’on n’est plus pris par cette chose. Encore qu’on pourrait « chipoter » et dire que, pour qu’une chose nous prenne, il est besoin qu’elle soit déjà capable de se prendre elle-même ; franchement, je ne sais pas… Ce dont je suis certain, est que le procès dressé contre l‘identification, en tant que démarche aliénante, est injuste et caricatural. La prétendue non identification brechtienne (passionnante d’un point de vue stylistique) est un leurre : l‘identification ne se réduit pas au niveau conscient, elle est, avant tout, un processus inconscient et chaque individu, contrairement à qu’il se plait à croire, ne sait pas à quoi il s‘identifie ! Le principal étant, qu’au moyen de ce processus, quand bien même n’en connaîtrait-il pas la direction, il parvient à se sentir, puis à se penser distinct, non seulement de ce avec quoi il ne s‘identifie pas, mais aussi de ce à quoi il s’identifie. Ce deuxième point, d’autant plus qu’il ne sait pas exactement à quoi il s‘identifie et que, ne le formalisant pas, la seule chose qu’il discerne, plus ou moins clairement, est sa propre différence. De la possession et de l’identification, il est peu sérieux de dire laquelle précède l’autre, en revanche, on se rend compte que, dans l’évolution humaine, l‘identification précède la conscience et, à plus forte raison, la raison. « Il discerne sa propre différence », c’est à dire qu’il ressent cette part de néant qui se trouve en lui, laquelle se différencie de toute chose, à commencer de lui-même et, ce faisant, lui fait envisager ce lui-même. Maintenant, il est nécessaire de souligner deux différences. D’abord celle primordiale, entre signifier et s’identifier. Ce n’est pas du tout la même chose de signifier que l’on ressemble à tel ou tel, et de vivre dans la situation de tel ou tel. La signification est, certes, une représentation mais il s’agit d’une représentation encore proche d’un objet dont on détient la propriété (avant que de l’échanger) mais dont on ne partage aucune qualité (il y a, si on se permet de le dire, un peu d’être dans l’identification). Ensuite, opératoire, la distinction entre l‘identification qui se « veut » très consciente à tel ou tel personnage précis, au travers de ses caractéristiques caractérologiques (et physiques), et l’identification au Personnage, cette sorte de surspectateur qui se retrouve dans « le tableau », dans le rêve, dans toute situation. L’identification au Personnage et non à un personnage particulier est beaucoup plus profonde. Elle dénote la corrélation de la possession et de l’identification, particulièrement en ceci que le Personnage est la relation établie avec le processus de Re-présentation. Les deux types d‘identification, celle consciente à un personnage et celle plus profonde au Personnage se renforcent l’une l’autre.
fiction : les lignes consacrées à la possession et à l‘identification induisent une mise en question des caractères positifs et incontournables de la réalité et de la vérité. Celles-ci auraient le plus grand mal à revendiquer la pureté du cristal et sembleraient, bien souvent, ne partager avec ce dernier que sa qualité de miroir, autant dire la compétence concrète qu’il apporte à l’illusion ; mais, rigoureusement, que désigne ce terme d’illusion ? S’agit-il du contenu qu’on donne à accroire ou de la matière et des moyens qu’on utilise pour ce faire ? Pour une grande part, les moyens donnent l’impression d’être tangibles et l’on profèrerait une contre vérité en ne leur accordant aucune réalité – le matériau dont est fait, par exemple, un panneau de signalisation routière existe positivement -, mais, franchement, où s’arrête le matériau et où commence ce qui ne relève que de l’imagination et de sa mémoire ? Question d’autant plus pertinente depuis qu’on a constaté que la matière était constituée de matière matérielle et de matière immatérielle (césure, on le rappelle, qui dépend de chaque espèce, de chaque catégorie et de chaque niveau). Matériels ou immatériels, les moyens sont toujours des ensembles de la matière, plus exactement des représentations. Et la matière de ces représentations est de la fiction. On a pour habitude de tenir la fiction pour une création de l’imagination, mais, pour ce faire, on implique le verbe « créer » qui suppose qu’on « tire du néant ». Le rapport à celui-ci est le rapport qu’entretient le processus de Re-présentation, lequel permet l’existence de toute chose, de toute représentation. Selon la considération de chacun à son niveau, le monde est composé de représentations lesquelles sont constituées de fiction. Un tel constat risque de susciter la colère de tous ceux qui trouveront alors, que tout ne serait plus que mensonge ! Ils se tromperaient simplement de niveau, la séparation du vrai et du faux ne se tient pas là : la question de la vérité est une question d’ajustement, l’ajustement, selon la considération qui a cours, entre diverses représentations (constituées de fiction) et non entre diverses fictions au sens où l’entend la pensée traditionnelle. Il n’en reste pas moins que le risque de céder à cette traditionnelle confusion indique la menace pesant sur la fiction qui est, à l’instar des représentations, de se voir considérée comme un objet. Paradoxalement, on éprouve quelque mal à tenir la fiction pour un processus, bien qu’on ne cesse de sous-entendre qu’il s’agit d’une manoeuvre. Evidemment, si la fiction est une « matière fictive », on a du mal à la situer. En fait, tel qu’on la présente, il lui manque une qualité qui préciserait ce qu’elle « est » ou à quoi elle procède. Ce type de qualité ne correspond pas à son rôle mais plutôt à celui de l‘effictivité.
Effictivité : on évoque le point nodal du présent essai, justement en nouant un néologisme avec deux termes apparemment contradictoires : effet et fiction. En dotant ainsi la fiction d’effectivité et en élargissant la conséquence de celle-ci, on rend compte d’une surprenante réalité à laquelle chacun s’est pourtant habitué : la fiction n’est pas sans effet, ne serait-ce, par exemple, sur la sensibilité des êtres vivants (que ce soient les humains affectés par les histoires qu’on leur raconte, les animaux trompés par les leurres, ou un végétal vers lequel on projettera le rayon d’une lampe électrique qui lui procurera le même effet qu’un rayon de soleil). La question se pose : si la fiction n’est pas sans effet sur la sensibilité des êtres vivants, pourquoi n’en aurait-elle pas sur l’ensemble de la matière ? Admettre pareille éventualité reviendrait à admettre que l’ensemble de la matière serait doté de sensibilité, hypothèse qui n’est pas automatiquement absurde à partir du moment où l’on ne parle plus de matière mais de représentation et, surtout, à partir du moment où l’on ne restreint pas le vivant à ce qu’on a l’habitude d’appeler le « vivant » et où l’on ne divise plus le monde entre ce qui serait inerte et ce qui serait vivant (attention au simplisme : cette division est parfaitement nécessaire pour la recherche et vouloir l’effacer en pratique conduit à un réductionnisme semblable à celui du « savant » soviétique Lyssenko qui, en plein stalinisme, affirma, à l’encontre de cette science « réactionnaire », la biologie (!) : que les variations obtenues sur un organisme grâce à l’intervention du milieu, comme les variations de température, pouvaient enrichir cet organisme, le faire muter et lui donner la possibilité de transmettre les modifications dont il avait bénéficié. Malheureusement, Lyssenko ne parvint pas à faire muter et multiplier blé et maïs.). La Présence est le symptôme du processus de Re-présentation, et l‘effictivité est l’efficience de la Présence. Positivement insaisissable, parce qu’absolument non substantifiable, afin de pouvoir l’évoquer, on comparera son allure à la vitesse de la lumière avec laquelle elle partage une forme d’invariabilité. De même façon que la vitesse de la lumière ne dépend d’aucun des référents existants, l’allure de l‘effictivité ne dépend d’aucun des présents (lesquels ne sont pas assimilables à la Présence).
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Lexique 2
Actrice, Acteur : l’ordre et le choix de ces termes répond à deux priorités, rendre justice au rôle prépondérant des femmes dans l’histoire du jeu théâtral et re-situer la place des interprètes de Théâtre par rapport à « l’agir ». Dans la volonté de maîtriser les rites de possession, particulièrement les groupes dionysiaques composés de femmes, les Cités grecques ont écarté celles-ci des Choeurs dithyrambiques et tragiques. Les femmes se sont donc retrouvées exclues du théâtre à la naissance duquel, elles avaient pourtant contribué. Pareil interdit fut repris par le Christianisme et encouragea la caricature dans le jeu, il fut question de signifier la féminité plutôt que de la re-présenter (cette tendance s’étendit, sans coup férir, à l’ensemble de l’interprétation). De plus, tout en se rappelant la distinction établie par Louis Jouvet entre le comédien qui se met au service de son personnage et l’acteur qui met en valeur sa propre personnalité (du moins celle que l’opinion lui prête), il est besoin de la relativiser. Certes, grâce à l’usage, le terme de comédien s’est libéré du genre de la comédie et désigne tout interprète de théâtre mais il ne conduit pas à se demander quelle est la nature des actes qu’il réalise sur scène. Sont-ce de simples actions ou des Actes ? L‘Actrice et l’Acteur, concourant à la re-présentation, ont pour vocation de dépasser les actions et d’accomplir des Actes.
actant : tout sujet réalisant une action, intentionnelle ou non, consciente ou pas, humaine, animale, végétale, organique ou objective. Sur scène, devant un public, volontairement ou pas (cf; les animaux et les objets), l’actant réalise des actions qui peuvent être virtuoses et périlleuses, d’une grande qualité esthétique ou simplement quotidiennes, ou encore significatives ( l’artiste disant et récitant un texte est plutôt un actant qu’un Acteur). Tout interprète d’un spectacle n’accomplissant pas une re-présentation, reste un actant, mais il faut rappeler que l‘Actrice et l’Acteur sont aussi des actants. Chaque actant ne devient pas systématiquement une Actrice ou un Acteur, mais chacun de ceux-ci est obligatoirement un actant.
Acte : pour être, une action se doit d’être, d’abord et toujours, un Acte. Quand on réalise une action – ne serait-ce que celle de vivre organiquement – , on n’est pas spontanément conscient d’accomplir aussi un Acte. Parmi certaines éventuelles autres démarches, la re-présentation Théâtrale tient une place d’autant plus importante qu’elle est la seule à se partager consciemment avec un public (le fait d’assister à des rites de possession est différent : y assiste-t-on en tant que « fidèle » spectateur qui se retrouve, de façon inattendue, possédé, ou avec la distance de l’observateur ?). La grande différence entre l’Acte et l’action est constituée par la mort. A l’égal de toute entité, l’action est vouée à la mort, tandis que l‘Acte frôle l‘immortalité dans la mesure où il dépasse la simple représentation et sollicite le processus de Re-présentation. Il est à noter qu’en reprenant le terme d‘Acte, la littérature dramatique évoque la spécificité du Théâtre.
action : à ce niveau, être revient à agir, quand bien même agit-on sans conscience ni intention. Il existe plus d‘actions qu’on ne veut le croire. Raisonner, conceptualiser, métaphoriser, écrire, ressasser, s’exprimer verbalement, réciter sont aussi des actions. La mort menace l‘action. Ce n’est pas un hasard si, depuis des millénaires, le spectacle qui est, avant tout, un spectacle d’actions, se nourrit de combats meurtriers, de performances dangereuses ou d‘actions tellement difficiles que leur échec, même s’il n’est pas mortel, est une métaphore de la mort (le jongleur qui rate sa balle, le musicien et le chanteur qui manquent leur note). Aujourd’hui, en matière de politique culturelle, la tendance consiste à valoriser les arts de la scène, et c’est justice après le mépris dont ils ont eu à souffrir, mais un tel mépris repose sur le malentendu pour lequel le théâtre est un art du texte. Pareil malentendu encourage la confusion selon laquelle on croit maîtriser ce théâtre de texte en se livrant à des récitations, des proférations et des diffusions de »voix off ». Ce faisant, on ne fait que du spectacle d’actions verbales. La spécificité du Théâtre consiste à dépasser les actions et à accomplir des Actes, dépasser le seul spectacle au profit de la re-présentation.
sujet : appellation controversée, si ce n’est contestée. Dans certains milieux intellectuels, on craint qu’elle n’implique un sujet transcendantal. En revanche, l’ambiguïté conduisant à considérer le sujet soit pour un agent, soit pour un thème, aide à comprendre qu’il n’est définitivement ni un répertoire ni un dieu, d’ailleurs, ni l’un ni l’autre, il est seulement un maillon (indispensable) avec lequel on peut agir sur et avec les représentations. Il se tient donc au plan de l’agir et de l’effectivité, de la causalité. Il est composite, par exemple, au théâtre, une situation donnée sur scène implique le ( les) sujets- actant et la situation spectaculaire motive le (les) sujets- observant que sont les spectateurs. Chaque Sujet est composé d’un sujet-actant et d’un sujet(s)-observant, mais en réalité – on ne l’a pas évoqué dans cette essai – il existe un troisième composant du sujet : le sujet-thématique, mais celui-ci n’est pas rigoureusement discernable, il peut être assimilé soit au sujet-actant (un témoins n’observe pas un actant seulement en tant qu’agent), soit au sujet-observant (durant le spectacle, l’actant peut ne pas exercer sur le seul thème de son numéro mais aussi sur le public).
présent : un ensemble sujet-observant/sujet-actant est un présent (étant entendu que chaque parcelle de matière – chaque parcelle de représentation – faisant partie de l’environnement d’une autre parcelle, observe cette dernière puisqu’elle la considère). Il n’existe pas de présent universel, on calcule du temps dans le cadre d’un présent, ce qui n’exclue pas de calculer, à partir d’un même temps, le temps de plusieurs présents si ceux-ci se trouvent rassemblés dans un même ensemble présent. Tout présent est voué à la disparition, donc tout enchainement de présents est menacé de mort. Un présent est toujours un après-coup, puisqu’il est sanctionné par son observant. Il se déroule depuis la perception de l‘action du sujet-actant jusqu’au démarrage effectif de l’observation par le sujet-observant : il peut être considéré comme une maintenance (« maintenant ») dans la mesure où il perdure dans l’infime espace temporel entre la perception et l’observation effective. Toutefois, dans l’emploi du terme « présent », on admet que sa « maintenance » soit prolongée car il serait absurde, quand on parle d’un présent, de s’attarder sur un nombre infini de présents.
la Présence : ne pas confondre présent et la Présence. Un présent dépend de l’association d’un sujet-actant et d’un sujet-observant. La fonction de sujet-actant est le propre de l‘actant, lequel réalise les actions du spectacle sous le regard du spectateur. Le sujet-actant articule plus ou moins son présent à la Présence, ce qui confirme son caractère présent, mais s’il parvient à mieux que de « l’articuler plus ou moins », l’actant devient une Actrice ou un Acteur. Si un présent est un après-coup, on parlera de la Présence en évoquant, de façon imprécise et non objective, une espèce « d’avant- coup ». Pareille évocation (à la tonalité quelque peu « fumeuse et fantasmatique ») est due à la capacité créditrice de la Présence, capacité d’autant plus surprenante qu’elle consiste à s’anticiper elle-même. Symptôme du processus de Re-présentation, la Présence est de toujours « en présence », comme la moindre représentation se re-présente « en présence » et ne se trouve pas déterminée par un présent universel bien que, chaque fois, elle soit perçue par un présent particulier. Au même titre qu’un présent s’y articule, toute absence se réfère à la Présence (bien que l’opposé du présent, l’absence n’est pas celui de la Présence). Enfin il est amusant de noter, qu’en raison de leur constant travail d’articulation de leurs présents avec la Présence, ou plus simplement en raison de l’idées qu’on s’en fait et qu’on projette sur eux, nombre d’Actrices et d’Acteurs semblent « naturellement » dotés de Présence.
personne : terme ambigu dans la langue française, toutefois cette ambiguïté souligne la position que personne, en tant que personne, occupe. Selon la conception du monde qui a court, aucun sujet-actant, ni non plus aucun sujet-observant, ne résume une personne. Elle est plus que ça ! Certes, un sujet-actant en articulant, plus ou moins, son présent à la Présence, devient une personne, mais on conviendra que pareille articulation est si souvent ténue qu’il est difficile de parler de personne, au fond, il n’y a personne ! Une personne est une complétude, un ensemble de présents solidement articulés avec la Présence. Une telle définition pose un problème humaniste : elle n’exclut pas de tenir une créature non humaine pour une personne. Il s’agit de la faculté Théâtrale de jouer n’importe quel rôle, faculté qu’il ne faut pas réduire à la compétence de signifier, d’imiter ou d’illustrer tel ou tel des personnages.
personnage : théoriquement, il s’agit d’une figure représentée dans une oeuvre théâtrale, mais à quel niveau ? Le terme d’oeuvre semble renvoyer à un corpus littéraire ou pictural et situer le théâtre au second degré. De plus, la représentation d’une figure renvoie à une représentation plus ou moins objectale, en tout cas significative. Il existe de nombreux personnages comme il existe de multiples figures mais cela peut se limiter à des masques, des grimages, des grimaces, des caricatures, donc des significations. Sous le regard du sujet-observant, le sujet-actant devrait articuler leur présent avec la Présence, mais se contentera-t-il d’illustrer, citer, mimer et signifier un parmi tous les personnages, ou franchira-t-il la frontière du jeu en impliquant, si besoin, un processus d‘identification avec le Personnage ? C’est l’enjeu d’une représentation : ou rester une représentation de significations, ou devenir une représentation en tant que re-présentation.
Personnage : il est préférable de traiter ce terme au singulier, sauf qu’on peut aussi prétendre qu’il y a, au moins, autant de Personnages qu’il existe d’Actrices et d‘Acteurs (lesquels, de plus, en jouent beaucoup au cours de leur carrière). Le Personnage est simplement la relation que toute Actrice ou tout Acteur peut entretenir avec le processus de Re-présentation. Relation difficultueusement simple tant les avatars (multiples personnages) sont nombreux et tant la technique et la volonté (pourtant indispensables) ne suffisent pas pour l’établir. Quelle est l’exacte différence entre le Personnage et la Présence ? On vient de présenter l’un comme la relation avec, et l’on avait présenté l’autre comme le symptôme du processus de Re-présentation, mais force est de reconnaître qu’il s’agit plutôt d’une nuance de rhétorique qui esquisse le glissement du point de vue. (à suivre)
Read MoreLexique (1)
Il est d’usage de respecter l’ordre alphabétique. Ici, pour ce petit Lexique, on empruntera et on adoptera une succession et un classement didactiques afin de rapprocher ou d’opposer certaines notions tout en reprenant le fil de l’argumentation.
représentation : la réflexion est menée en partant de la mutation de cette notion qui se substitue à celle d‘objet ( en tant que fait matériel ou intellectuel). Elle souligne le lien de ce qu’elle recouvre avec le processus de Re-présentation, lequel permet l’existence de toute « chose ».
re-présentation : le tiret indique qu’il n’est pas question de quelque chose de figé, « se faisant » – lié plus directement avec le processus de Re-présentation. Cette notion désigne plus particulièrement la représentation Théâtrale par rapport à la simple représentation de spectacle, mais aussi toute chose s’accomplissant (donc en relation avec le processus de Re-présentation).
processus de Re-présentation : principe constant et omniprésent selon lequel, à tout instant et à tout niveau, chaque représentation (chaque chose) est et se fait. Le terme de processus est relativement douteux dans la mesure où il risquerait de donner à accroire qu’un sujet hors re-présentation disposerait, agencerait et ferait fonctionner les parties d’un quelconque tout, alors qu’il n’existe, à l’orée du processus de Re-présentation, aucune part tangible. C’est plutôt ce processus qui permet aux représentations (en lien avec les effets de causalité intervenant plus tard) de naître et renaître. De plus, la définition en tant que « principe » est ambiguë, un tel principe se tient entre une « source » et un « foyer » : il est ce qui permet que « quelque chose » sorte ou rayonne, mais jamais il ne dit que ce « quelque chose » existât. Comme s’il était source et foyer du Rien.
Read MoreRôle de la Fiction et du Sujet dans la re-présentation de la Matière
On a cru régler la question du vide en prétendant, qu’absolument irréalisable, il n’était qu’une métaphore du Rien. On l’a cru trop rapidement, persuadé de s’appuyer sur des arguments imparables du genre : « ce prétendu vide n’est qu’une impression humaine ! ». Cela revenait à liquider sans égards, non seulement la dimension humaine mais aussi la fonction du Sujet qui n’est pas restreinte à une fonction humaine et s’étend à toutes les espèces, tous les êtres vivants et toutes les catégories de matière. Toujours tenté de croire que seuls les êtres humains ressentent des impressions, on a mis longtemps à découvrir que les animaux n’étaient pas des machines, on a même hésité avant d’admettre que les très jeunes enfants pouvaient se trouver physiquement impressionnés autant que les adultes. D’ailleurs, l’enjeu est encore beaucoup plus profond qu’on ne le dit : on pourrait très bien tenir les animaux pour des machines à la condition de reconnaître chez ces machines une faculté sensible. Plus précisément, « à condition de reconnaitre une faculté sensible dans la matière de ces machines ». Une sensibilité de la matière elle-même et non des machines en tant que machines, c’est à dire des objets constitués d’objets. Craignant, à juste titre, de se trouver accusé d’anthropocentrisme, on évite de prêter aux êtres, aux objets et à la matière des qualités propres à l’homme ou, du moins, que l’on croit propre à celui-ci. Qu’entend-t-on par « propre à l’homme ? » Qui le caractériserait ? Une telle caractéristique ne serait-elle pas, justement, une projection de l’homme ? Projection censée lui convenir à la perfection, mais cette soi-disant perfection ne serait-elle pas seulement la conséquence de l’évolution et un aspect particulier de l’espèce qui prendrait sa source non seulement dans l’ensemble des êtres vivants mais aussi dans l’ensemble des choses de la matière ? Ne faudrait-il pas retourner cette fière originalité en simple conséquence ? Ce n’est pas céder à l’anthropocentrisme que de penser que les spécificités humaines prennent leur source dans les compétences de la matière, il s’agirait plutôt de « matériaucentrisme » ( si ce néologisme était d’usage et s’il ne risquait pas de renvoyer au matérialisme le plus réducteur).
Read MoreLibérer la Fiction de l’objet significatif
Afin que vous ne vous égariez point parmi les voies empruntées par la présente étude, je dois éclaircir la situation de la fiction, je dois la remettre en situation. Pour ce faire, je tenterai : 1- de lever l’équivoque qui sépare l’usage courant de ce terme de son emploi dans la logique de la re-présentation, 2- de préciser le rôle qu’elle tient dans la re-présentation de la matière. Selon l’usage, une fiction est un ensemble de significations, transmis au moyen d’un certain mode d’expression, évoquant des évènements, des personnages, des lieux, des objets, des pensées, des formes et des paroles qui n’ont pas vraiment lieu, quand bien même feraient-ils référence à des choses qui se sont produites ou qui se produiront.
Read MoreVers la Fiction, en passant par le Sujet
J’ai indiqué, maintes et maintes fois, qu’au cours de l’expérience des deux miroirs se faisant face – expérience qui n’en n’est plus une tant elle fait partie de l’usage -, ceux-ci sont dans l’attente, ou plutôt impliquent un présent, je ne dis pas la Présence, du sujet, lequel est constitué par le sujet-actant (actrice ou actant) et par le sujet-témoin (spectateur). Le Sujet rend présent le croisement des reflets des deux miroirs, au même titre que l’observateur scientifique rend présent les éléments de matière qu’il considère. Quand j’écris qu’ils les rendent présents je ne cherche pas à dire qu’ils leur donnent de la Présence. La confusion des présents et de la Présence constitue un obstacle traditionnel et courant de la réflexion, même les plus grands penseurs y ont cédé. Les uns frisent le solipsisme en ne se retenant pas de croire, qu’au bout du compte, les choses sont, dans la mesure où elles le sont pour les consciences et les autres rappellent qu’elles se tiennent irréductiblement en dehors des consciences, au point de leur accorder plus de réalité qu’à ces dites consciences. La distinction entre les présents et la Présence permet de singulariser chacun des éléments sans exclusive : les éléments sont en dehors de quiconque grâce à la Présence et chacun de ces éléments peut s’efforcer d’être présent à chaque part de la Présence, étant entendu que chacune de ces parts n’existera, en tant que telle, qu’en raison de la forme de reconnaissance par l’un de ceux-ci. Nul besoin d’être reconnu par quiconque pour être, et quiconque peut reconnaitre chaque être à sa manière. Evidemment, on se trouve loin de vérités absolues, mais cela n’empêche pas d’accorder un caractère absolu à des vérités partielles, comportement indispensable à toute démarche de ressaisissement – sachant, par devers soi, afin d’éviter le fanatisme et de garder sa porte ouverte à la connaissance, que ces vérités absolues ne le sont pas définitivement. Les présents s’articulent à la Présence, ils comblent ainsi les vides dont il faut rappeler qu’ils ne sont que des métaphores du Rien. Métaphores bien nécessaires, elles permettent aux sujets de vivre, en tout cas à certains d’avoir l’impression de vivre – à quoi on peut résumer, pour la conscience, le fait de vivre, ce qui, loin de mépriser l’impression telle une vaine illusion, pousse au contraire à la chérir.
Maintenant, il ne faudrait surtout pas oublier que l’observation de quoi que ce soit pèse sur ce quoi que ce soit. L’observateur perturbe ce qu’il observe. Le verbe perturber est sans doute excessif, il tend à faire croire que la chose observée éprouverait un sentiment négatif et, peut-être, que la cause de la perturbation serait dotée d’intention (malveillante). Il psychologise une relation qui devrait rester objective, mais, de plus, il affirme que la cause s’est produite au détriment de la chose observée, ou, du moins, en entravant son cours « normal ». Quelle normalité ? Y aurait-il un destin fixé d’avance pour toute parcelle de matière, qu’une « diabolique » observation viendrait fausser ? Cette ironique question va plus loin qu’il y paraît à première vue. A défaut d’être observée, selon la dimension psychologique de l’observation, toute parcelle de matière n’est-elle pas prise en compte, au moins, par les parcelles qui l’entourent, si ce n’est par l’entière matière ? Et pareille prise en compte ne contribue-t-elle pas, en partie, à sa formation et à ses déterminations ? Je ne dis pas que chaque chose n’existe qu’au moyen de ce qui l’entoure, que chaque texte n’a d’existence que grâce à son contexte, mais je ne prends pas un grand risque en affirmant que l’une et l’autre ne seraient pas, à tel ou tel moment, tout ce qu’ils sont, en dehors de tout cela. Au Théâtre, on le sait bien, les êtres, les choses et les évènements sont des carrefours et des noeuds de situations. L’observateur peut être exempt de psychologie, le simple fait d’être là, que son présent s’articule avec la Présence dans laquelle baigne ce qu’il est censé observer, contribue à la forme d’existence de celui-ci. Je dirais à sa forme de représentation. L’ensemble constitué par l’observateur et ce qu’il observe, ou ce à quoi il est présent, est un ensemble de considération. Attention, aucun ensemble de considération n’exclut les autres. Ceci renvoie à la nécessité du spectateur, sa nécessaire implication, quand bien même ne serait-il qu’un témoin ou seulement un voisin. La nécessité d’un voisin pour que le monde existe.
Mon expression a cédé quelque peu à la facilité en laissant sous-entendre que le voisinage suffirait. Quand je parle de voisin je ne fais pas référence au seul voisinage spatial ainsi qu’on l’entend avec le monde extérieur. Tout ensemble de considération voisine aussi avec lui-même – quand bien même ne font-ils pas bon ménage. Encore que ce « lui-même » soit indécidable et que seul un sujet puisse avoir la présomption de le revendiquer pour lui-même. Le Sujet revient ici pour rappeler que les sujets ne sauraient vivre et être conscients sans s’appuyer sur un certain nombre de vérités. Que ces vérités ne soient pas absolues, peu importe, le principal est qu’elles le soient dans un temps et un espace donnés, à un présent particulier et, surtout, qu’elles le soient pour eux. Le sujet conscient s’arrange toujours pour remplir, avec des vérités, le manque de vérité. Vous me direz : tout ça c’est de la foutaise ! Vous aurez raison. Pour ma part, je dis que c’est de la fiction mais, au même instant, je me rends compte qu’on dit, et je ne suis pas le dernier, tout et n’importe quoi sur la fiction. On n’emploie pas encore le terme de représentation, on s’en tient au concept d’objet et l’on se trouve obligé de toujours distinguer entre les objets réels et les objets de fiction. Persuadés de parler avec prudence, on se jette dans la confusion avec les« objets de fiction ». Qu’est-ce qui, dans un objet de fiction, relève de la fiction et relève de l’objet ? Les arts et le Théâtre connaissent le problème : la chaise sur laquelle le comédien et le personnage s’asseyent relève de quel domaine ? Elle bénéficie d’une solidité suffisante et d’un fonctionnement efficace qui démontrent qu’elle est, à notre époque, un objet comme bien d’autres, mais sa forme et le tissu, avec ses couleurs, qui la recouvre en font-ils un mobilier courant ? Après tout, qu’est-ce qu’un meuble, un vêtement et un accessoire courants ? Dans la « vraie vie » les « vrais gens » peuvent très bien s’asseoir sur, se vêtir avec, et manier des objets originaux, tandis que des personnages de fiction, emploieront les choses les plus neutres que l’on pourra retrouver dans sa cuisine. A l’époque où les toiles peintes faisaient florès dans le théâtre, il n’y avait pas d’hésitation : s’il y avait toile peinte, c’était clair, « c’était pas pour de vrai ». On se retrouvait de plein pied avec la question picturale : à quel moment commence le tableau fictif ? Avec le cadre, avec la toile, avec l’enduit, l’esquisse des formes, les premières touches de couleur, ou seulement le travail de finition qu’affectionnaient les peintres académiques ? Déjà, certains étaient persuadés, bien avant le xxème siècle, que l’essentiel reposait dans le concept, le projet. Ils attachèrent de plus en plus d’importance à leurs premières esquisses et ce souci deviendra essentiel avec « l’art conceptuel » qui limite les oeuvres à la présentation de griffonnages, d’ébauches, de notes, au mieux de prémices de maquettes. On opposera à cela que l’oeuvre n’existerait pas sans l’oeil du visiteur. Selon ces tendances et ces obligations, il ne resterait plus, pour tenter de désigner une oeuvre fictive, qu’à dresser un arc depuis l’idée de son créateur jusqu’au ressenti de son spectateur. De telles idées et de tels sentiments se formant au travers des organes et des matériaux, on ne parviendra toujours pas à déterminer ce qui relève de la fiction et ce qui dépend du monde matériel, mais, au fait, la différence, à supposer qu’elle existât, passerait-elle par ces catégories ? Le monde ne serait-il pas plutôt disposé selon un domaine matériel et selon un domaine immatériel. Deux domaines qui se répartiraient différemment selon les considérations des espèces, des êtres vivants et des catégories de matière. Et ces deux domaines ne seraient-ils pas constitués, tous deux, de fiction ? Le Sujet faisant retour dans mon propos, ne vient pas pour me démentir. Il sait se satisfaire de vérités qui n’en sont pas, pour la bonne raison que, lui-même, est une fiction. Ou, plus précisément, qu’il est un ensemble fictif, un outil de la fiction, à la fois l’un de ses thèmes et un de ses actants.
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